Un rendement hors normes au cœur de la capitale
À deux pas de la faculté de droit, un carré de 700 m² attire désormais les regards des curieux de Brazzaville. Sur cette parcelle discrète, Patrick Mbemba et son entreprise Eppavpa ont récolté 625 kilogrammes de maïs, avant même d’avoir moissonné la totalité du champ.
Le résultat surprend les techniciens. Converti à l’hectare, le rendement dépasse 8,9 tonnes, soit plus du double de la moyenne nationale. « Nous voulions démontrer qu’avec une méthode rigoureuse, les terroirs urbains peuvent nourrir bien plus qu’on ne le pense », souligne l’agronome congolais.
Le secret d’un protocole adapté aux sols acides
Le sol sableux du deuxième arrondissement présente un pH acide, peu propice à la culture du maïs. Eppavpa a donc travaillé avec des partenaires italiens pour ajuster la fertilisation et neutraliser cette acidité sans alourdir les coûts pour les producteurs.
Le protocole combine amendements calcaires, apports organiques issus de résidus urbains triés et micro-doses d’engrais minéraux placés au plus près des semences. « La variété seule ne suffisait pas, il fallait soigner le sol », rappelle Patrick Mbemba, se félicitant d’un taux de germination supérieur à 95 %.
Après deux campagnes sur la variété VN10, l’équipe a testé la LG 38778, réputée plus gourmande en nutriments. Les mesures hebdomadaires de hauteur, diamètre de tige et indice foliaire ont guidé l’ajustement des apports, évitant tout gaspillage d’intrants.
Trois ans de suivis serrés fournissent aujourd’hui une base de données rare pour les agronomes locaux. Le ministère de l’Agriculture, régulièrement informé, étudie la possibilité de diffuser le protocole dans les ceintures maraîchères de Pointe-Noire et de Ouesso.
Maïs bon marché, volaille accessible
Au Congo, la filière avicole dépend encore largement d’aliments importés. « Maïs égale poulet », rappelle Patrick Mbemba, soulignant que la flambée du grain se répercute instantanément sur les œufs et la viande blanche consommés par la majorité des ménages urbains.
En juillet, une palette de trente œufs peut atteindre 4 000 FCFA, un prix sensible pour les étudiants et jeunes travailleurs. Lorsque les récoltes locales du second cycle arrivent sur les marchés, le tarif descend nettement, preuve du lien direct entre production céréalière et panier de la ménagère.
Avec des rendements tels que ceux obtenus à Brazzaville, l’aliment de base des volailles pourrait voir son coût chuter, rendant la filière plus compétitive face aux importations. Les producteurs, souvent découragés par des rendements inférieurs à trois tonnes à l’hectare, retrouvent de l’espoir.
Le Centre national de recherche agronomique envisage d’intégrer ces données dans ses fermes-pilotes pour valider les économies réelles en coût d’aliment. « Nous voulons des chiffres vérifiables pour convaincre les financeurs », confie un cadre du centre.
Réduire la facture d’importation de maïs et de tourteaux s’inscrit par ailleurs dans la stratégie gouvernementale de diversification économique, saluée par plusieurs analystes régionaux.
Des perspectives d’emplois pour la jeunesse
Le projet entend maintenant passer de l’expérimentation à la vulgarisation. À travers des sessions de formation, Eppavpa vise mille jeunes producteurs dès la prochaine saison sèche, avec l’appui prévu de coopératives déjà actives à Kinkala et Boko.
Chaque hectare bien conduit peut générer jusqu’à deux emplois permanents, estime l’entreprise. Au-delà du maïs grain, la filière pourrait s’étendre au soja, renforçant la production locale de provendes et stimulant un tissu d’auto-entrepreneurs en transformation agro-alimentaire.
Selon l’Agence congolaise pour l’emploi, plus de 60 % des demandeurs enregistrés ont moins de 30 ans. « Le secteur agricole est l’un des rares capables d’absorber ce flux, à condition d’assurer rentabilité et marché », insiste un responsable de l’agence.
Cap sur la souveraineté alimentaire
Pour Patrick Mbemba, le succès des 700 m² n’est qu’un début. Il milite pour qu’au moins 20 % des terres arables périurbaines soient dédiées à des cultures stratégiques comme le maïs, le manioc amélioré ou le soja, réduisant la dépendance aux importations.
Le ministère de tutelle travaille déjà à calibrer des incitations fiscales pour les jeunes agripreneurs qui adopteraient ces techniques. Des subventions ciblées sur les amendements calcaires et une ligne de crédit à taux préférentiel pourraient être annoncées lors du prochain Salon national de l’agriculture.
Si la dynamique se confirme, la capitale pourrait devenir un laboratoire d’agriculture urbaine performant, inspirant d’autres villes d’Afrique centrale. « Nous voulons prouver que l’innovation agronomique est possible ici, maintenant », conclut Patrick Mbemba, le regard tourné vers la prochaine campagne.
