Une immersion guidée dans les couloirs d’un centre sous tension nutritionnelle
À première vue, le Centre de santé intégré Jean Taty ressemble à n’importe quel dispensaire de quartier. Derrière les murs encore marqués par l’humidité du fleuve voisin, une file d’attente silencieuse rappelle pourtant que la faim se soigne désormais comme une pathologie. Venus de l’université Marien Ngouabi, de l’Institut des jeunes sourds ou encore du Parlement des jeunes, une cinquantaine de visiteurs ont suivi pas à pas le parcours d’un enfant suspecté de malnutrition aiguë modérée : pesée sur balance électronique, mesure du périmètre brachial, triage puis distribution d’une ration de farine fortifiée. « Nous voulions comprendre le protocole au-delà des discours officiels », confie Ravy Ndinga, étudiant en nutrition. Son étonnement grandit devant la rigueur des carnets de suivi que les infirmières remplissent à la main, preuve que le numérique reste un luxe dans les arrondissements périphériques.
Le Programme alimentaire mondial face au défi « Faim Zéro »
Créé en 1961, le Programme alimentaire mondial célèbre cette année les huit décennies de l’Organisation des Nations Unies avec une ambition inchangée : éradiquer la faim. À Brazzaville, le bureau pays met l’accent sur la malnutrition modérée, fléau qui touche encore un enfant sur quatre selon la dernière enquête MICS. De la Cuvette à Pointe-Noire, 183 centres comme celui de Makélékélé distribuent mensuellement des suppléments protéinés et des farines enrichies. « Nous ne pouvons pas attendre que la situation devienne critique pour intervenir », martèle Meldace Wonga, adjointe au bureau terrain. Le positionnement du PAM épouse l’Objectif 2 des ODD et s’adosse à un Plan stratégique pays valable jusqu’en 2026, lequel prévoit un passage progressif de l’assistance massive vers le renforcement des capacités nationales.
Makélékélé, laboratoire d’une coopération État-bailleurs sans fard
Dans le district sanitaire de Makélékélé, la coopération entre le ministère de la Santé et le PAM se matérialise par des entrepôts bien tenus, un système de quart de travail pour la préparation des bouillies thérapeutiques et un circuit de compte-rendu hebdomadaire. Dr Lypsia Bassissila, médecin-chef, y voit l’illustration d’une diplomatie de terrain : « Les cartons de farine arrivent sur des camions onusiens, mais la distribution s’appuie sur nos agents communautaires. Cette complémentarité réduit les coûts et augmente la confiance des familles. » L’approche reste toutefois fragile ; une rupture de stock d’huile micronutrientée en mai dernier a nécessité un réacheminement d’urgence depuis Pointe-Noire, rappelant la dépendance du dispositif à une chaîne logistique internationale sous tension.
La jeunesse congolaise se mue en vigie citoyenne
Le passage des jeunes au centre ne se limite pas à la découverte. À la sortie, plusieurs organisations ont annoncé la création d’une plateforme numérique d’alerte destinée à signaler les pénuries dans les CSIs des six départements couverts. « Il est temps que les bénéficiaires eux-mêmes deviennent acteurs de la surveillance nutritionnelle », estime Grâce Bojabi, porte-parole d’U-Report. En offrant leurs compétences en communication digitale, ces militants aspirent à combler le déficit d’information entre villages et autorités sanitaires. Le pari est audacieux dans un pays où la couverture Internet dépasse à peine 25 %, mais il traduit un changement de paradigme : la malnutrition n’est plus seulement l’affaire des humanitaires, elle devient un sujet de gouvernance citoyenne.
Une bataille qui se joue aussi hors des centres de santé
Les nutritionnistes insistent sur un point : la prévention prime sur la supplémentation. À Brazzaville, l’urbanisation galopante réduit l’accès aux jardins familiaux et pousse les ménages à consommer des aliments ultra-transformés moins coûteux. Le coût moyen d’un panier équilibré atteint 3 800 FCFA par jour, soit près de la moitié du salaire minimum. Les programmes de transfert monétaire pilotés par le gouvernement restent embryonnaires. Sans un appui budgétaire soutenu, l’objectif de Faim Zéro risque de demeurer un slogan. La directrice des programmes au ministère du Plan reconnaît « la nécessité d’inscrire la nutrition dans les politiques agricoles et éducatives pour rompre le cercle pauvreté-maladie ». À ce titre, la présence des étudiants et des acteurs de la société civile au CSI Jean Taty offre un relais précieux vers les quartiers où se forge l’opinion des jeunes adultes.
Vers une nutrition durable et inclusive : pistes et responsabilités
Deux heures de visite ne suffisent pas à résoudre la malnutrition, mais elles rappellent la responsabilité collective face à un fléau évitable. Le Congo-Brazzaville dispose d’atouts non négligeables : une production locale de manioc et de légumineuses riche en calories, un capital humain jeune, et une couverture sanitaire communautaire en expansion. Reste à renforcer la transformation agro-alimentaire afin de réduire la dépendance aux importations et à promouvoir des campagnes de sensibilisation adaptées aux réseaux sociaux plébiscités par les 20-35 ans. « Notre génération ne se contentera pas de clichés de solidarité », prévient Merveille Mokoko, étudiante en communication. Entre le volontarisme du PAM, la volonté politique nationale et l’exigence citoyenne, le centre Jean Taty devient le miroir d’un pays qui, pour vaincre la faim, doit conjuguer compétence technique, transparence et participation.