Tensions sur la colline de Manianga
Depuis plusieurs semaines, les rues sablonneuses du quartier Manianga, à Djiri, vibrent au rythme d’un bras de fer inattendu. D’un côté, des familles ayant payé leurs parcelles il y a près de vingt ans. De l’autre, la Congolaise des Eaux, désormais persuadée d’en être propriétaire.
Ce conflit foncier, d’apparence locale, mobilise avocats, chefs de quartier, géomètres et réseaux sociaux, où chaque camp diffuse plans cadastraux et vidéos en direct. Au-delà des émotions, l’affaire interroge la sécurisation des titres et la cohabitation entre besoins en logement et infrastructures publiques.
Les documents d’achat mis en avant
D’après les acquéreurs, presque tous possèdent des actes de vente signés entre 2005 et 2008 par feu Gaston Obia, notable réputé pour ses vastes concessions. Tampons, signatures, relevés topographiques : autant de preuves brandies lors des assemblées improvisées devant les portails encore grillagés des terrains.
« Nous n’achetons pas de l’air, nous avons payé et bâti des fondations », insiste Adolphe Mbalawa, montrant des copies plastifiées. Selon lui, certains voisins ont déjà raccordé l’électricité. Tous redoutent qu’un coup de pelle de la LCDE ne réduise à néant années d’épargne et rêves familiaux.
La position officielle de la LCDE
La Congolaise des Eaux affirme pour sa part avoir reçu en 2022 un arrêté d’affectation du site, présenté comme réserve stratégique pour l’extension du réseau d’adduction de Brazzaville-Nord. Son service juridique assure qu’aucune indemnité n’est due, les constructions observées étant qualifiées d’« occupations irrégulières récentes ».
Interrogé par téléphone, un cadre technique explique que le relief de Manianga permettrait d’implanter un château d’eau capable de sécuriser l’alimentation de Djiri et Mikalou. « Toute fragmentation en parcelles annihile le projet. Nous protégeons l’intérêt général », affirme-t-il, invitant les acheteurs à discuter d’une relocalisation.
Justice et procédures en cours
Avec son costume bleu nuit, l’avocat Stève Bagne rappelle que le tribunal de grande instance a ordonné le maintien des clients sur les lieux et autorisé, si besoin, la force publique. Il qualifie l’insistance de la LCDE de “rébellion” et promet une saisine rapide du procureur.
De source judiciaire, le dossier comprend trois plaintes distinctes, des expertises cadastrales et une médiation recommandée par le parquet. Cependant, l’encombrement des tribunaux rallonge les délais. Chaque renvoi entretient la méfiance : les habitants craignent que des travaux ne commencent avant la décision définitive.
Le rôle attendu des autorités municipales
À la mairie du 9ᵉ arrondissement, le service de l’urbanisme dit attendre les conclusions d’une commission mixte réunissant cadastre, domaines et LCDE. « Notre priorité est d’éviter un affrontement », confie un agent, rappelant les incidents survenus en 2020 lors d’une opération de désencombrement.
Le cadastre, lui, admet des incohérences entre plans des années 1990 et révisions plus récentes. Des couloirs de servitude hydraulique auraient été mal reportés, créant des zones grises facilement monnayées. Les techniciens promettent un lever topographique exhaustif avec drones et bornage GPS pour stabiliser les limites.
Enjeux économiques et sociaux du litige
À Djiri, les coûts des parcelles ont quadruplé en dix ans, tirés par l’arrivée de la rocade nord. La menace d’expropriation ravive donc la question de l’accès à la propriété pour les jeunes ménages, contraints d’aller toujours plus loin, vers Ignié ou Madibou, chercher des terrains.
Sur place, quelques commerçants improvisent pourtant des baraques en tôle pour alimenter les chantiers en briques. L’incertitude pèse sur leurs stocks : « Si tout est bloqué, qui me rembourse mon crédit marchand ? » soupire Mama Paulette, vendeuse de ciment, qui redoute d’être la première victime collatérale.
Les urbanistes rappellent que protéger les captages d’eau reste vital pour la capitale. Chaque jour, Brazzaville consomme plus de 180 000 m³. Un réservoir supplémentaire au nord désaturerait les pompes de Djoué. Les résidents de Manianga se disent prêts à coopérer, à condition de recevoir un dédommagement équitable.
Vers une solution de conciliation ?
Selon plusieurs sources proches du dossier, une réunion tripartite est envisagée sous l’égide du préfet de Brazzaville. L’idée serait de geler tout terrassement, d’organiser un audit cadastral contradictoire puis d’étudier un schéma d’acquisition progressive des lots nécessaires à la future station de pompage.
Un médiateur indépendant, issu de l’Ordre des géomètres, pourrait être désigné afin de certifier la neutralité des mesures. La LCDE se montrerait favorable, tout en rappelant l’urgence du projet hydraulique. Les acquéreurs, eux, conditionnent leur accord au versement d’indemnités couvrant prix d’achat et plus-value foncière.
En attendant, Manianga retient son souffle. La pluie qui tombe ces jours-ci rend les pistes glissantes, mais n’éteint pas les conversations. Dans les salons ou sur TikTok, chacun commente la suite du feuilleton foncier, espérant qu’une solution pacifique émergera avant la prochaine saison des travaux.
Les spécialistes du foncier rappellent que des litiges similaires se sont résolus ailleurs à Brazzaville grâce au mécanisme de portage foncier public-privé, où l’État achète les terrains litigieux puis les revend après viabilisation. Cette option, encore peu utilisée, pourrait offrir une porte de sortie sans vainqueur ni perdant.