Le marché Total sous le regard public
Dès qu’on descend du bus Coaster, le regard est attiré par une échoppe bariolée, collée à l’entrée Nord du marché Total de Bacongo. Sous un parasol rouge, des boîtes de crèmes exhibent sans filtre des silhouettes féminines nues et des couples enlacés.
La scène ne passe pas inaperçue, d’autant que marchands de légumes, étudiants pressés et mamans venues pour le poisson fumé se croisent dans ce carrefour commerçant. Chacun esquisse un sourire, un haussement d’épaules ou un silence gêné face aux images explicites.
Cosmétiques et promesses XXL
Le propriétaire du stand, la trentaine, revendique une pharmacopée moderne : huiles pour galber les hanches, sirops aphrodisiaques, baumes chauffants contre les courbatures. Pour preuve, il brandit les emballages, persuadé que la photographie choc maximise la confiance du client mieux que de longs arguments.
Il explique vendre “la solution rapide aux complexes” dans un monde de réseaux sociaux dominé par les selfies. Son discours rencontre un écho auprès de jeunes adultes attirés par l’esthétique instantanée, tandis que d’autres s’interrogent sur la fiabilité et la discrétion de ces produits importés.
Cadre légal et décence publique au Congo
Le Code pénal congolais interdit la diffusion d’images pornographiques dans l’espace public, rappelait l’avocate Gaëlle Mabiala lors d’une conférence à l’Université Marien Ngouabi en 2022. La loi vise à protéger les mineurs et à garantir le respect de la pudeur dans les lieux de passage.
Sur le terrain, l’application repose sur des contrôles de routine déjà mobilisés par la circulation, la salubrité ou la contrefaçon. Plusieurs policiers, interrogés hors micro, admettent manquer de formation spécifique pour distinguer le caractère médical d’un visuel de sa dimension érotique, surtout dans les marchés animés.
Perceptions de la génération connectée
Joël, 24 ans, affirme ne plus être choqué : « Sur Instagram, c’est pire ». Il considère que les emballages colorés reflètent une réalité mondialisée et préfère que le commerce reste visible plutôt que d’alimenter un marché clandestin qui profiterait à des produits contrefaits.
À l’inverse, Grâce, étudiante en droit, craint un banal « effet vitrine » sur les plus jeunes, sensibles à tout ce qui brille. Elle suggère une zone réservée aux produits intimes, accessible aux seuls majeurs, et défend une campagne pédagogique plutôt qu’une simple saisie répressive.
Arguments des détaillants
Le vendeur assure posséder des autorisations sanitaires, brandissant parfois une photocopie de certificat d’analyse venu de Kinshasa. Selon lui, l’image d’un corps nu « parle le langage universel » et sert davantage à illustrer la fonction tonifiante ou volumatrice qu’à susciter la jouissance visuelle.
Il évoque aussi la concurrence des boutiques en ligne qui, elles, échappent au contrôle visuel du marché. Pour rester compétitif, il dit suivre « les codes du marketing international », convaincu que la clientèle brazzavilloise veut la même mise en scène que celle de Dubaï ou Paris.
Bien-être, risques et attentes sanitaires
Le pharmacologue Rodrigue Bemba rappelle que certaines crèmes à base de corticostéroïdes ou d’extraits hormonaux peuvent provoquer infections cutanées ou déséquilibres métaboliques. Il recommande d’accompagner toute publicité par une notice claire en français et en lingala afin d’éviter l’automédication hasardeuse.
Le ministère de la Santé a récemment multiplié les contrôles sur les compléments alimentaires, saisissant plus de 1 200 flacons non conformes l’an passé, selon un rapport consulté par notre rédaction. Les marchés populaires restent néanmoins un maillon essentiel pour sensibiliser consommateurs et petits commerçants.
Autorités locales et médiation
Contacté, le responsable de la police du deuxième arrondissement assure que des « rappels à la réglementation » sont lancés chaque semaine, mais reconnaît que la pédagogie prime désormais sur la sanction. Des séances d’information devraient être organisées avec les comités de marché et la mairie.
La mairie de Brazzaville rappelle de son côté que la modernisation des marchés, engagée depuis 2021, inclut l’installation d’enseignes uniformisées et l’adoption d’un guide visuel respectueux des valeurs culturelles. Les commerçants seront consultés afin d’éviter un affrontement et de préserver l’attractivité du site.
Vers une charte d’affichage responsable
Universitaires et associations de jeunesse suggèrent de coécrire une charte d’affichage responsable, mêlant liberté d’entreprendre et protection des publics sensibles. Inspirée de certaines villes ouest-africaines, la charte prévoirait un pictogramme signalant les produits réservés aux adultes, sans recourir à une censure totale.
Une telle approche pourrait renforcer la confiance entre vendeurs, acheteurs et autorités en clarifiant les règles du jeu. Selon la sociologue Clarisse Ontsira, « la visibilité n’est pas un problème en soi ; c’est le contexte pédagogique qui manque le plus ».
En attendant, l’échoppe continue d’attirer les curieux, reflet d’un marché brazzavillois où se croisent désir d’innovation, exigences sanitaires et normes culturelles. Le défi n’est pas de cacher les images, mais de trouver l’équilibre entre expression commerciale, éthique sociale et santé publique.
Les discussions annoncées au Conseil départemental de la jeunesse laissent espérer un texte pilote d’ici la fin de l’année. S’il voit le jour, il pourrait servir de modèle à d’autres marchés du pays et encourager un commerce créatif mais respectueux des sensibilités locales.