Une chevalière au service du slam congolais
Le 15 août, au cœur des célébrations du 65e anniversaire de l’indépendance, la slameuse Mariusca Moukengue a été faite chevalière dans l’ordre national du mérite par le président Denis Sassou Nguesso, scellant l’entrée du slam dans le panthéon culturel congolais.
Sous les applaudissements du Palais du peuple, la jeune artiste de 31 ans a vu son micro se transformer en symbole républicain: une responsabilité nouvelle qu’elle accueille comme « une source de motivation à travailler encore plus dur pour la nation » (Les Dépêches de Brazzaville).
L’empreinte sociale d’une plume
Au fil de textes rythmés respirant la rue de Poto-Poto, Mariusca multiplie les messages de paix, de solidarité et d’humanité qu’elle adresse surtout à la jeunesse, public fidèle derrière cette voix qui prouve que la poésie orale peut influencer la cité sans renoncer à la rime.
Selon l’artiste, la décoration « valide un combat » et ouvre davantage de portes médiatiques pour porter « la voix de la jeunesse, les besoins de la société et les espoirs du public », consolidant ainsi un dialogue civique déjà amorcé dans ses précédents spectacles.
Défis financiers et victoires symboliques
Derrière les trophées se cache un parcours en autoproduction, ciselé entre ateliers scolaires et plateaux internationaux, où le manque de financement a souvent contrarié les tournées autant qu’il a aiguisé la créativité d’un collectif de bénévoles prêts à amplifier chaque vers.
Pour Mariusca, le succès s’évalue moins en cachets qu’en moments où un auditeur dit avoir redécouvert le Congo grâce à un slam : « faire aimer mon pays à travers mes textes est ma plus belle victoire », confie-t-elle, sourire indélébile.
Le slam congolais sur la scène mondiale
Depuis Brazzaville jusqu’à Ouagadougou ou Montréal, la poésie rythmée made in Congo-Brazzaville tisse désormais son réseau à coups de hashtags et de festivals, portée par des voix comme celle de Mariusca qui a déjà foulé la scène de Jimsaan, du FEMUA ou d’Africa Fest.
Le Festival international Slamouv, qu’elle a co-fondé en 2018, prépare sa cinquième édition pour 2024 et ambitionne d’inviter une dizaine de pays africains et européens, créant un carrefour où talents émergents, programmateurs et partenaires institutionnels se rencontrent autour du verbe.
Projets brûlants pour 2024
À court terme, la slameuse vise la scène parisienne le 29 novembre lors d’un concert autoproduit qui servira de vitrine à son EP en préparation, avant un retour à Brazzaville pour boucler la programmation de Slamouv et lancer une série d’ateliers dans les lycées.
Elle caresse aussi l’idée d’un album concept tourné vers les contes kongo, mixant percussions ancestrales et beats urbans, afin de « pousser plus loin les frontières du slam » tout en valorisant le patrimoine linguistique, annonce-t-elle sans dévoiler la date de sortie.
Un écho national valorisé par l’État
La distinction reçue traduit, selon le ministère de la Culture, « la volonté des pouvoirs publics de soutenir les expressions contemporaines qui participent au rayonnement du pays », soulignant l’intérêt croissant des institutions pour l’entrepreneuriat créatif porté par la jeunesse.
En multipliant subventions et résidences, les autorités espèrent faire du slam un secteur créateur d’emplois et d’influence, à l’image de la filière musicale déjà soutenue par le Fonds de promotion culturelle, rappellent des responsables rencontrés lors des festivités du 15 août.
Une aventure inspirante pour la génération 2020
Dans un paysage où beaucoup de jeunes hésitent entre entrepreneuriat, service civique et carrières artistiques, le parcours de Mariusca rappelle qu’une discipline de niche peut s’élever grâce à l’endurance et à l’accompagnement des institutions, sans renier ses engagements sociaux.
Chaque verre de son slam devient alors un miroir tendu à la génération 2020, invitée à croire en ses projets et à bâtir un Congo créatif, connecté et pacifique, objectif partagé par l’artiste et les politiques culturelles actuelles.
Slam et technologies numériques
Si la scène reste essentielle, la diffusion numérique occupe une part grandissante dans la stratégie de l’artiste, qui publie régulièrement des capsules vidéo sur Instagram et TikTok, cumulant des milliers de vues et offrant aux textes un second souffle au-delà des frontières.
Ces plateformes permettent aussi de lever des fonds par le biais du financement participatif, alternative bienvenue dans un secteur culturel encore en structuration ; la campagne lancée avant son concert parisien a déjà atteint 70 % de son objectif, selon son équipe de communication.
Réception critique et perspectives
Pour le critique littéraire Joseph Tchicaya, « la force de Mariusca est d’inscrire le slam dans la tradition des conteurs kongo tout en empruntant l’énergie du hip-hop », ce qui, selon lui, explique l’intérêt croissant des institutions scolaires pour ses ateliers d’écriture.
Le sociologue Ange Ndinga note de son côté que la reconnaissance de l’État envoie un signal positif aux familles, souvent réticentes à soutenir des vocations artistiques, et pourrait encourager d’autres vocations dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans.
En route vers de nouveaux horizons
Portée par un nouveau galon républicain, Mariusca Moukengue trace une trajectoire où chaque strophe dialogue avec l’avenir d’un Congo créatif, invitant les jeunes à transformer leurs rêves en projets tangibles.