Un socle historique, des perspectives renouvelées
Dès l’évocation des relations entre Rabat et Brazzaville, le terme « exceptionnel » revient avec insistance dans la bouche des diplomates. La visite d’État de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2006, suivie de celle du Président Denis Sassou Nguesso à Marrakech en 2016, a scellé un axe politique dont les effets se répercutent aujourd’hui sur le terrain économique. À l’occasion du vingt-sixième anniversaire de l’accession au Trône du souverain chérifien, le chargé d’affaires Ahmed Agargi a rappelé, à Kintélé, que cette amitié dépasse le registre symbolique et vise désormais « un développement durable et partagé » (discours officiel, 30 juillet).
À l’heure où le continent s’interroge sur la place de la coopération sud-sud face aux recompositions géopolitiques, le Maroc et le Congo affichent une rare constance. Brazzaville voit dans l’expertise marocaine un vecteur de diversification économique, tandis que Rabat trouve dans le bassin du Congo un laboratoire grandeur nature pour ses ambitions climatiques. Cette convergence d’intérêts confère au partenariat une épaisseur stratégique qui explique la relance, à Brazzaville, de la préparation de la troisième Grande Commission Mixte.
Des chantiers structurants déjà sur les rails
La diplomatie officielle se double d’initiatives concrètes. Le chantier du futur Centre hospitalier Hassan II de Brazzaville, financé en partie par l’Agence marocaine de coopération internationale, illustre cette traduction opérationnelle. Dans le domaine universitaire, l’Université Denis Sassou Nguesso de Kintélé négocie un jumelage académique avec l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguérir afin de co-construire des filières en data-science et en gestion des ressources naturelles. Côté infrastructures, la participation d’entreprises marocaines à la modernisation du corridor routier Pointe-Noire-Brazzaville témoigne d’une volonté d’accompagner l’intégration logistique du marché sous-régional.
Ces réalisations s’inscrivent dans l’agenda 2022-2026 du Plan national de développement congolais. Le ministère congolais de l’Économie se félicite d’une « coopération respectueuse de la souveraineté et guidée par la recherche de valeur ajoutée locale », pour reprendre les mots du secrétaire général adjoint aux partenariats stratégiques, Julien Milongo.
Transition énergétique : l’expertise marocaine à l’épreuve du bassin du Congo
La dimension climatique constitue le moteur le plus visible du rapprochement. Le Royaume chérifien, fort de son mix énergétique dominé à plus de 40 % par les renouvelables, ambitionne de répliquer ses succès à l’échelle régionale. L’engagement conjoint dans la Commission Climat du Bassin du Congo, présidée par le Chef de l’État congolais, ouvre la voie à des transferts de savoir-faire en matière de photovoltaïque hors-réseau, de mini-hydro et de certification carbone.
Le protocole d’accord signé en marge de la COP 27 sur la cartographie des potentialités solaires congolaises conforte ce mouvement. Pour la ministre congolaise de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, « l’appui technique du Maroc permet à notre pays de passer de l’ambition à l’action, tout en créant des emplois verts pour notre jeunesse ». Des start-up congolaises accompagnées par la Green Energy Cluster Morocco expérimentent déjà des lampadaires solaires dans les arrondissements périphériques de Brazzaville.
Nouvel horizon pour une jeunesse en quête d’opportunités
Au-delà des macro-projets, la coopération se mesure à l’échelle individuelle. Chaque année, plus de 400 bourses d’excellence sont attribuées par Rabat aux étudiants congolais, couvrant médecine, ingénierie et management. À Casablanca, l’incubateur 1337 Afrique a ouvert un hub dédié aux développeurs brazzavillois, leur offrant un accès à des marchés numériques en rapide expansion.
Cette dynamique répond aux attentes d’une génération qui réclame des passerelles concrètes vers l’emploi. « Les formations marocaines sont réputées pragmatiques, proches des besoins des entreprises », témoigne Diane Bokilo, diplômée en cybersécurité et désormais consultante dans une firme panafricaine. Le ministère congolais de la Jeunesse compte capitaliser sur ces success stories pour développer un réseau d’alumni capables de rapatrier compétences et capitaux.
Entre régionalisme africain et multilatéralisme assumé
Sous-tendue par un panafricanisme assumé, la relation maroco-congolaise s’adosse également à des instruments multilatéraux, qu’il s’agisse de la Zone de libre-échange continentale africaine ou des facilités financières de la Banque africaine de développement. Le projet du Gazoduc Atlantique, qui vise à relier le Nigéria au Maroc tout en desservant les États d’Afrique centrale, pourrait à terme fournir au Congo une option supplémentaire pour valoriser son gaz.
Dans un environnement marqué par la volatilité des alliances, Rabat et Brazzaville cultivent donc un partenariat à la fois prudent et ambitieux. Les deux capitales veulent démontrer qu’il est possible pour des États africains de co-construire des solutions sans renoncer à leurs priorités souveraines. Ahmed Agargi l’a résumé avec simplicité : « La solidarité n’est pas un slogan ; c’est un programme d’action que nous voulons partager. »