De Kinkala à la Sorbonne, itinéraire d’un précurseur
Né en 1935 dans la bourgade verdoyante de Kinkala, Martial Sinda rejoint très tôt Brazzaville où sa curiosité pour les humanités trouve un premier souffle sous les voûtes du petit séminaire. Repéré pour son exceptionnel appétit de lecture, il obtient une bourse et franchit les portes de l’Université de Paris, avant d’intégrer la Sorbonne, temple du savoir comparé. Ses recherches, centrées sur l’histoire des religions africaines, s’inscrivent dans une époque où l’Afrique équatoriale prépare son émancipation intellectuelle. À la Sorbonne, il conjugue rigueur philologique et sensibilité culturelle, façonnant un style d’écriture qui mêle érudition européenne et profondeur bantoue.
L’écriture comme acte de souveraineté narrative
Avec Simon Kimbangu et le Martyr congolais, suivi d’André Matsoua, fondateur du Mouvement de libération du Congo, le professeur Sinda publie des textes devenus repères pour toutes les facultés d’histoire du continent. S’appuyant sur des archives coloniales longtemps inexploitées, il déplie la figure du prophète kimbanguiste et celle du tribun Matsoua, démontrant que la spiritualité a souvent servi de langage politique sans que la postérité n’en perçoive toujours la profondeur. Ces ouvrages, traduits en plusieurs langues, replacent les héros congolais au cœur d’un récit transafricain où la dignité collective s’élabore dans la parole et non seulement dans l’action militaire.
Un observateur engagé, discret dans la mêlée politique
Témoin privilégié de l’ascension de l’abbé Fulbert Youlou, Martial Sinda choisit, dans les années soixante, la distance réflexive plutôt que la conquête de portefeuilles ministériels. « La tâche d’un chercheur est déjà un engagement total », confia-t-il en 1985 lors d’un séminaire à l’Université Marien-Ngouabi, rappelant que la neutralité critique constitue une forme d’utilité publique. Pourtant, en 1991, l’appel de la Conférence nationale le convainc de réactiver l’Union démocratique pour la défense des intérêts africains afin de préserver, dit-il, « l’empreinte youliste dans la mémoire institutionnelle ». Son incursion reste brève, freinée par des clivages partisans auxquels il préfère la sérénité des bibliothèques.
La modernité d’une pensée panafricaine
La redécouverte contemporaine de ses analyses sur le messianisme congolais s’inscrit dans le regain d’intérêt pour les utopies fédératives africaines. À l’heure où l’agenda continental multiplie les projets d’intégration économique, les écrits de Sinda rappellent que l’unité ne peut se décréter administrativement : elle se construit dans les imaginaires partagés. Son intuition selon laquelle le christianisme kongo a été un laboratoire de résistance culturelle anticipe les discussions actuelles sur l’afropolitanisme, concept cher à la génération connectée de Pointe-Noire à Dakar.
Paroles de contemporains et échos académiques
Interrogé sur Radio-Congo en 2002, le historien Joseph Tonda saluait « la puissance tranquille d’un maître des sources orales ». De son côté, l’anthropologue française Anne Lafont évoquait « un penseur dont la méthodologie inspire la restitution muséale des arts du bassin du Congo ». Ces témoignages convergent vers une conclusion : l’œuvre de Sinda dépasse le territoire national pour rejoindre les bibliothèques de Nairobi, Washington et Brasilia, preuve également du rayonnement soft power que le livre confère à la diplomatie congolaise.
Un héritage en quête de relais générationnels
Chez les étudiants de Brazzaville, les réseaux sociaux viennent relayer des extraits de Chant de départ, poème couronné en 1955 par le Grand prix littéraire de l’Afrique équatoriale française. Cette circulation virale révèle combien la plume de l’auteur demeure audible. Pour capitaliser sur cet engouement, plusieurs facultés, en partenariat avec la Direction générale du patrimoine, envisagent une chaire Martial-Sinda consacrée à la dynamique entre foi, citoyenneté et émancipation. Une telle initiative pourrait stimuler la recherche locale tout en consolidant l’ambition nationale de devenir un pôle universitaire régional.
Entre mémoire et prospective, la responsabilité de la jeunesse
Le décès du professeur, survenu en juillet 2025, pose moins la question de la mélancolie que celle de la transmission active. Qu’il s’agisse de numériser ses archives, de vulgariser ses travaux auprès des lycées ou de nourrir les débats civiques, la jeune génération détient la clé d’une valorisation inclusive de son legs. Dès lors, Martial Sinda n’est pas seulement un nom de manual, mais un rappel que la connaissance, lorsqu’elle se veut service, fonde l’autorité morale des nations. En embrassant cette vision, le Congo consolide son capital symbolique tout en forgeant une citoyenneté éclairée, moteur d’un avenir partagé.
Dernier salut à l’infatigable pédagogue
Alors que ses cendres rejoignent la terre natale du Pool, là où la savane frissonne aux premières pluies, les cloches des paroisses et les couloirs des campus résonnent d’une même gratitude. Le professeur Sinda, qui affirmait n’avoir « jamais trahi » son serment d’historien, laisse un message clair : se souvenir, c’est aussi inventer le futur. À ce titre, son nom demeure l’un des jalons indispensables d’une Renaissance congolaise puisant dans la rigueur scientifique et l’éthique du partage.
