Une délégation téké traverse la frontière
Célèbre périple de 200 km, la délégation de onze dignitaires tékés venue de la République démocratique du Congo a traversé plateaux et vallées jusqu’à Mbé, capitale du royaume téké, du 23 au 24 septembre. À leur tête, le chef de groupement Michaël Libo Mukoko.
S’étendant du Congo-Brazzaville à la RDC, en passant par le Gabon, le royaume téké unit depuis des siècles des peuples liés par la même langue et des rites communs. Mbé, dans le Djoué-Léfini, demeure le siège symbolique où trône le dix-huitième Makoko, Michel Ganari.
Civilités royales et doléances coutumières
Pour les visiteurs, la priorité consistait à présenter officiellement leurs civilités au roi, car depuis son intronisation en 2022 ils n’avaient pas encore foulé la cour royale. Ce protocole, incontournable dans la tradition, marque la reconnaissance de l’autorité spirituelle et coutumière du Makoko.
La délégation a également profité de l’escale de quarante-huit heures pour soumettre diverses doléances, notamment la gestion de terres coutumières et la circulation de jeunes initiés entre les deux rives du fleuve. Autant de questions que seule la cour de Mbé peut arbitrer, selon eux.
Sur les pas du Traité Brazza-Makoko
Moment fort du séjour, la visite de la stèle commémorant le Traité Brazza-Makoko, signé le 10 septembre 1880, a replongé les hôtes dans l’histoire fondatrice de Brazzaville. Sous un soleil doux, prêtres traditionnels ont offert libations et prières pour honorer les ancêtres témoins du pacte.
Les tambours du groupe folklorique royal ont aussitôt retenti, entraînant dignitaires et villageois dans la même cadence. Les refrains, identiques à ceux chantés de l’autre côté de la frontière, ont suscité l’émotion. « Nous sommes un seul peuple », soufflait un jeune danseur, sourire éclatant.
Voix de la RDC : fierté et unité
Porte-parole de la délégation, le chef traditionnel Martin Lita Fambomo a rappelé les raisons du déplacement: saluer le souverain, accomplir des cérémonies ancestrales et prendre conseil. « Il fallait voir l’endroit où notre premier Makoko conclut l’alliance avec de Brazza », a-t-il martelé.
Satisfaction partagée, le représentant a salué la parfaite conservation du site et la bienveillance de la cour. Selon lui, chaque difficulté rencontrée en RDC trouve traditionnellement écho à Mbé, lieu de médiation où l’esprit du premier roi continue d’éclairer la communauté de valeur commune.
Les conseils de Makoko Michel Ganari
De retour sous le grand fromager du palais, Sa Majesté Makoko Michel Ganari a rassemblé ses hôtes pour une causerie empreinte de sagesse. Il a insisté sur la dignité du chef, sa responsabilité de préserver la terre ancestrale et de rejeter les facilités d’un enrichissement rapide.
« Le chef n’envie pas ce qui ne lui appartient pas », a-t-il répété d’une voix posée. Il a mis en garde contre la vente illégitime des terres, pratique selon lui stérile. Enfin, il a rappelé l’importance de respecter les jours sacrés du calendrier téké.
Avant la séparation, le souverain a exhorté tous les dignitaires, congolais comme rd-congolais, à demeurer « un et indivisibles ». Un souhait simple mais fort qui résonne particulièrement dans une région où la parenté ethnique traverse les frontières étatiques dessinées tardivement par la colonisation.
Un honneur international pour le souverain
Au terme de l’audience, un moment protocolaire a vu le Makoko recevoir une Attestation d’honneur remise par la commission communication du colloque international « Sur la route de l’histoire », consacré au 145ᵉ anniversaire du Traité. Le document venait au nom de Bélinda Ayessa, présidente d’honneur.
Quelques semaines plus tôt, lors de ce colloque, le roi s’était exprimé en vidéoconférence pour célébrer la paix et saluer le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, dont il a dit apprécier les efforts constants en faveur de la cohésion nationale et du développement harmonieux.
Recevant l’attestation, Michel Ganari a remercié « ma fille Bélinda » pour l’attention portée au mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza, souhaitant que le site rayonne encore davantage. Il a réitéré ses félicitations au président, convaincu que « sans paix, aucune activité ne peut prospérer ».
Jeunesse connectée, tradition partagée
Le message n’a pas échappé aux jeunes présents, nombreux à filmer la scène pour TikTok et WhatsApp. Entre deux stories, certains confiaient voir en cette harmonie institutionnelle un exemple de concertation entre modernité et tradition, susceptible d’inspirer les quartiers urbains.
Au-delà des discours, la stèle restaurée et la ferveur des rituels devraient renforcer l’attractivité touristique du couloir Djoué-Léfini. Les autorités locales envisagent d’aménager un circuit historique reliant Mbé, le mémorial de Brazzaville et les villages tékés frontaliers, pour encourager l’économie communautaire.
Diplomatie culturelle et avenir régional
En repartant, les dignitaires ont promis de revenir lors des prochaines fêtes royales, emportant calebasses sacrées et chants gravés sur smartphones. Leur séjour, discret mais dense, illustre la diplomatie culturelle capable de consolider les liens entre les peuples et d’ancrer la paix dans le quotidien.
À l’heure où l’Afrique centrale multiplie les initiatives de coopération régionale, cet épisode rappelle que les alliances ancestrales peuvent compléter les accords institutionnels et offrir aux jeunes générations un socle identitaire partagé.
