Une journée commémorative sous la loupe économique
Le 31 juillet, la Journée internationale de la femme africaine rappelle, pour beaucoup, une date protocolaire. Or, derrière le rituel, se joue une réalité macro-économique trop souvent éclipsée : sans la pleine participation des femmes, les trajectoires de croissance du continent demeureront inachevées. La Banque mondiale estime qu’en refermant l’écart de genre, l’Afrique subsaharienne pourrait ajouter jusqu’à 2 500 milliards de dollars à son PIB d’ici 2025. Ce chiffre, martelé lors de la dernière assemblée annuelle de l’institution, place la question au cœur de la stratégie productive plutôt que dans la sphère des slogans.
De la résilience informelle à la gouvernance formelle
Sur les marchés de Pointe-Noire comme dans les couloirs feutrés des incubateurs de Dakar, les femmes endossent depuis longtemps le rôle de négociantes, cheffes d’atelier ou développeuses. Elles animent près de 70 % de l’activité informelle, un chiffre corroboré par l’Agence française de développement. Cette résilience, empiriquement séduisante, montre cependant ses limites lorsqu’il s’agit d’accéder aux chaînes d’approvisionnement internationales, à la propriété intellectuelle ou au crédit bancaire classique. Le passage de l’informel au formel s’impose donc comme un sas incontournable vers la compétitivité mondiale.
Performance financière et égalité, le faux dilemme
Plusieurs études menées par McKinsey et la IFC convergent : les start-up fondées par des femmes délivrent, en moyenne, deux fois plus de revenus par dollar investi que celles fondées par des hommes. Ce constat bouscule la perception, encore vivace, d’un arbitrage entre rentabilité et inclusion. « L’investissement dans les dirigeantes n’est plus un acte militant, c’est un calcul d’espérance de gain », résume Arancha González Laya, ancienne directrice du Centre du commerce international, lors d’une table ronde à Abidjan. En d’autres termes, la diversité de genre devient un indicateur de bonne gouvernance aussi tangible que le ratio d’endettement.
Le chaînon manquant : capitaux patients et compétences pointues
La statistique est éloquente : moins de 5 % des fonds de capital-risque engagés en Afrique en 2024 sont allés à des équipes exclusivement féminines, selon Partech Africa. Le hiatus ne relève pas seulement d’un biais culturel ; il révèle la rareté de capitaux patients, adaptés à des cycles de maturité plus longs. Dans le même temps, l’exigence technologique croît. Les entrepreneures congolaises rencontrées lors du Sommet AFSIC à Londres déplorent le manque de mentors capables de décoder à la fois les normes comptables IFRS 9 et les remarquables spécificités des marchés ruraux. Sans accompagnement technique rigoureux, l’ambition reste un feu de paille.
Vers un capitalisme intentionnel made in Africa
Une nouvelle grammaire entrepreneuriale émerge, qui conjugue objectif financier et mission sociale dès la conception du business model. La première licorne d’Afrique francophone, grâce à une offre de micro-services financiers accessibles sur mobile, a démontré qu’un produit pensé pour l’inclusion peut satisfaire simultanément régulateurs, investisseurs et populations non bancarisées. Cette approche intentionnelle s’institutionnalise : les chartes ESG de banques panafricaines imposent désormais des quotas de projets féminins dans leurs pipelines, tandis que des structures telles que le Women Investment Club syndiquent l’épargne locale pour la convertir en tickets d’amorçage.
Aujourd’hui en République du Congo, quelles pistes ?
À Brazzaville, les autorités annoncent la création d’un fonds souverain dédié aux industries créatives, secteur porté à 60 % par des femmes de moins de 35 ans. Selon la ministre des PME, Inès Ingani, l’outil visera à garantir des prêts sans exigence de collatéral foncier, souvent hors de portée des dirigeantes. Sur le terrain, l’incubateur Bantu Hub expérimente un programme jumelant ingénierie logicielle et agro-transformation : les participantes développent des applications de traçabilité des tubercules, répondant à la fois à la demande d’exportateurs européens et aux impératifs sanitaires locaux. « Nous voulons prouver que l’échelle mondiale est accessible sans renoncer à nos racines », confie Ruth Mpouho, co-fondatrice de la start-up N’Toki Foods.
Regard d’avenir : bâtir sans permission
En 2030, l’Afrique comptera plus de 160 millions de consommateurs à revenus intermédiaires, d’après les projections de l’IFC. Le véritable moteur de cette mutation reste pourtant l’audace féminine, souvent à l’œuvre dans l’ombre des statistiques officielles. Pour les décideurs, se contenter d’applaudissements circonstanciels reviendrait à ignorer un gisement d’efficacité prouvé. Investir dans les femmes, c’est renforcer la résilience des chaînes de valeur, stimuler l’emploi qualifié et diffuser une culture de probité managériale. Le continent ne réclame pas de nouveaux totems, mais un partage effectif du pouvoir économique. En d’autres termes, les bâtisseuses n’attendent plus la permission d’agir ; elles l’exercent déjà. Reconnaître cette réalité constitue, pour le capital africain, moins un geste de justice qu’un impératif de compétitivité.