Nedroma, vigie millénaire des montagnes Trara
Nichée à 420 mètres d’altitude dans la végétation dense du djebel Filaoussen, Nedroma épouse les pentes du massif des Trara comme un amphithéâtre naturel tourné vers la Méditerranée. Le visiteur y découvre d’emblée une topographie défensive : crêtes protectrices, plaines fertiles en contrebas et accès aisé au port de Ghazaouet, distant d’à peine vingt kilomètres. Cette géographie stratégique a, depuis l’Antiquité, offert à la cité un rôle de sentinelle commerciale reliant le Maghreb central à l’Espagne islamique.
De Falusan aux Almohades : l’essor d’une capitale régionale
Le premier écho historique de Nedroma apparaît au IXᵉ siècle lorsque le géographe El-Ya’qûbî évoque la « grande cité de Falusan ». Trois siècles plus tard, Abdelmoumen Ben Ali, fondateur de la dynastie almohade, érige la petite bourgade berbère en capitale régionale. En rationalisant l’urbanisme et en dotant la ville d’enceintes robustes, il consolide un pouvoir qui rayonnera jusqu’en Andalousie. Cette impulsion almohade demeure perceptible dans la configuration de la médina, formée d’un maillage serré de ruelles qui convergent vers les espaces cultuels.
Terre d’accueil des exilés d’al-Andalus
Le XVe siècle marque un tournant culturel décisif. Fuyant la Reconquista, des milliers de musulmans et de juifs andalous franchissent la Méditerranée et trouvent refuge derrière les remparts de Nedroma. La vague s’amplifie après 1609, date du décret d’expulsion des Morisques par Philippe III. Selon des chroniques locales, « la ville se peupla d’artisans dont la main reproduisait Grenade » : tisserands, céramistes, spécialistes du travail du bois et du plâtre réinventent alors le paysage urbain. L’historien espagnol Guillermo Rittwagen, émerveillé au début du XXᵉ siècle, décrira la cité comme « la vraie métropole des Arabes andalous expulsés d’Espagne ».
Un patrimoine religieux d’une densité rare
Joyau absolu, la Grande Mosquée fondée en 1081 sous Youssef Ibn Tachfine illustre la synthèse entre art almoravide et inspirations omeyyades de Cordoue. Sa salle de prière à neuf nefs, rythmée par des arcs en plein cintre reposant sur des colonnes antiques remployées, témoigne d’un savoir-faire où le détail se met au service de la majesté. Le minaret, ajouté en 1348 par l’architecte Muhammad al-Sîsî, déploie un décor géométrique de briques fines qui préfigure les envolées zianides de Tlemcen. Autour de cet édifice, prolifèrent mosquées de quartier, kouttab pour l’enseignement coranique et plus d’une centaine de koubas. Cette concentration d’édifices sacrés confère à Nedroma un statut de centre spirituel incontournable entre Oranie et Rif marocain.
Habitat andalou : le patio comme cœur battant
Sous les tuiles vert émeraude, les demeures de la médina déclinent une esthétique où la discrétion extérieure contraste avec l’exubérance intérieure. Derrière des portes cloutées en cyprès, on pénètre dans un patio pavé de carreaux émaillés, rafraîchi par une vasque centrale. Les pièces s’ouvrent sur cette cour sans fenêtres sur rue, garantissant intimité et régulation thermique. Les teintes bleu cobalt, ocre et brun qui animent les enduits rappellent la palette des ruelles de Cordoue. Plus qu’un agencement bâti, il s’agit d’un art de vivre valorisant ombre, eau et convivialité.
Textiles et savoir-faire : l’or blanc des métiers à tisser
Au XVIᵉ siècle, Léon l’Africain saluait déjà « le grand nombre de ses tisserands ». La réputation de Nedroma repose alors sur la fabrication de cotonnades fines et de couvertures de laine destinées aux caravansérails sahariens aussi bien qu’aux comptoirs ibériques. Sous la régence ottomane, la cité se voit contrainte de livrer chaque année un contingent d’étoffes à l’armée. Aujourd’hui encore, des ateliers familiaux perpétuent le battement régulier des métiers à tisser ; leur production, labellisée, se vend sur les marchés de Tlemcen et d’Oran, rappelant que le patrimoine immatériel est aussi un ressort de développement économique.
Musique arabo-andalouse : un répertoire en partage
Nedroma n’est pas seulement une ville de pierre, elle est une ville de voix. Dans les patios s’élèvent les mélodies du hawzi et du madih, conservées par les confréries et les écoles de musique créées au début du XXᵉ siècle. Des maîtres tels qu’El Hadj Mohamed El Ghaffour ont transmis, génération après génération, des noubas remontant à Séville. La pratique musicale, loin d’être folklorique, demeure un espace de sociabilité où la jeunesse apprend la rigueur rythmique aussi bien que la poésie classique. Elle participe à la notoriété d’une cité qui se veut conservatoire vivant de la mémoire andalouse.
Les Trara, sanctuaire écologique à deux pas de la mer
Le massif culmine à 1 136 m et constitue la dernière avancée de l’Atlas tellien. Sur ses pentes, botanistes et écologues recensent plus de cinq cents espèces, dont plusieurs endémiques telles que la saxifrage de Nedroma. La topographie en terrasses, irriguée par des sources pérennes, favorise pins maritimes, oliveraies et vergers de figuiers. Pour les paléontologues, les grottes karstiques livrent également un patrimoine fossilifère qui singularise la région. La préservation de ce biotope est aujourd’hui intégrée au dossier UNESCO comme un argument de valeur universelle exceptionnelle.
Objectif UNESCO : une dynamique locale et nationale
Porté par les autorités algériennes, le projet d’inscription « Nedroma et les Trara » mobilise municipalité, universitaires et associations. Des restaurations ciblées de la Grande Mosquée, la mise en place d’un circuit muséal et la formation de guides multilingues constituent les volets les plus visibles du programme. Selon le ministère de la Culture, l’adhésion populaire est déterminante : « Plus que la reconnaissance internationale, nous voulons raviver la fierté des habitants », souligne un responsable du dossier. À terme, le label de l’UNESCO pourrait attirer un tourisme culturel de qualité, créateur d’emplois pour une jeunesse avide d’opportunités et soucieuse de préserver son environnement.
Entre mémoire et avenir, une cité qui parle au monde
Nedroma incarne la rencontre réussie des influences berbères, maghrébines et andalouses. Ses rues sinueuses, ses bâtisses séculaires et ses chants nocturnes tracent les contours d’une identité ancrée et pourtant ouverte. À l’heure où le patrimoine devient un levier de soft-power, la candidature UNESCO témoigne d’une volonté d’inscrire cette histoire locale dans la grande narration universelle. Que ses pierres demeurent, que sa musique résonne : là réside l’ambition d’une ville qui, du haut de ses remparts, continue de dialoguer avec la mer et, désormais, avec le monde.