Le Congo aux portes d’Écrans Noirs
Brazzaville bouillonne de fierté depuis l’annonce officielle : le long métrage « Niamo » de Liesebeth Mabiala représentera seul le Congo-Brazzaville à la 29e édition du prestigieux festival Écrans Noirs, prévu du 20 au 27 septembre à Yaoundé.
Cette sélection unique résonne comme une invitation adressée au jeune public congolais : celle de croire en ses histoires et de les porter à l’écran. « C’est un pas de géant pour notre industrie naissante », confie le critique Dieudonné Ibata, joint par téléphone.
Une intrigue née du roman d’Henri Djombo
Adapté du roman « Le Mort vivant » de l’écrivain et ancien ministre Henri Djombo, « Niamo » retrace la descente aux enfers d’un homme dont la réussite attise jalousies et complots. La réalisatrice y mêle tragédie, suspense et pointe d’absurde pour ausculter la condition humaine.
Le thème, universel, trouve un écho particulier dans les sociétés africaines urbaines où l’ascension sociale peut susciter suspicion. Mabiala explique avoir voulu « mettre en lumière la frontière fragile entre admiration et envie », tout en célébrant la capacité de résilience des communautés.
Casting panafricain, alchimie garantie
Devant la caméra, un casting panafricain galvanise le récit : la star camerounaise Emy Dany Bassong prête sa sensibilité au personnage principal féminin, épaulée par Moyindo Mpongo venu de RDC, et par les comédiens congolais Hervin Isma, Ralf Nguie et Alphonse Mafoua.
Cette distribution, selon le producteur exécutif Serge Bosso, « incarne l’unité culturelle du continent ». Sur le plateau, cinq langues se côtoient, du lingala au pidgin, sans oublier le français, offrant au film une texture sonore riche, miroir de la diversité africaine contemporaine.
Liesebeth Mabiala, autodidacte inspirée
Pourtant, la réalisatrice de 34 ans n’a bénéficié d’aucune école de cinéma formelle. Fille, petite-fille et sœur d’artistes, elle a absorbé les rudiments du septième art en autodidacte, enchaînant tutos YouTube, tables rondes lors de festivals et collaborations improvisées.
Son premier rôle date de 2002, auprès de la réalisatrice Claudia Haidara Yoka dans « Bozoba ». Neuf ans plus tard, elle passe derrière la caméra et signe « Dilemme », puis « Elonga ». Chaque projet, souvent autofinancé, pousse un peu plus loin sa grammaire visuelle.
Des séries aux longs métrages ambitieux
Au-delà des longs métrages, Mabiala pilote la série télévisée « Duel Matambi », tournée entre Brazzaville et Casablanca. Dix épisodes par saison, cinquante-deux minutes chacun : un format ambitieux salué par le public pour son mélange d’intrigue familiale, de romance et de satire sociale.
La présence d’acteurs tels que Majid Michel, Hibi Touré ou Alain Bomo Bomo ouvre à la production congolaise des portes régionales. « Dans chaque pays, je veux qu’un spectateur se reconnaisse », affirme la cinéaste, consciente du pouvoir des plateformes de streaming pan-africaines.
Écrans Noirs, passerelle continentale
Fondé en 1997, le festival Écrans Noirs se veut vitrine d’un cinéma africain exigeant. Au-delà des projections, l’événement organise ateliers, masterclasses et rencontres professionnelles, attirant chaque année étudiants, producteurs et distributeurs en quête de nouvelles pépites audiovisuelles.
Pour l’édition 2024, la compétition long métrage réunit quatorze œuvres issues de douze pays. La participation de « Niamo » place le drapeau tricolore parmi les favoris du public. « Nous attendons beaucoup de cette projection, l’histoire est puissante », glisse le directeur du festival Bassek Ba Kobhio.
Les lauréats des précédentes éditions, tels que le Sénégalais Alain Gomis ou la Burkinabè Apolline Traoré, ont ensuite conquis des festivals européens. Pour de nombreux observateurs, la présence d’un film congolais en compétition confirme la montée en puissance d’une production longtemps restée confidentielle.
Réactions et enjeux pour Brazzaville
Cet engouement résonne aussi à Brazzaville, où l’Association des cinéastes du Congo prévoit déjà une projection-débat post-festival. Objectif : analyser les retours de Yaoundé et préparer un plan d’accompagnement pour d’autres réalisateurs locaux désireux d’entrer en circuit international.
Des institutions comme le Fonds pour la promotion de la culture et des arts rappellent que le gouvernement a récemment augmenté les incitations fiscales pour les tournages. Plusieurs jeunes créateurs espèrent que la visibilité de « Niamo » accélérera l’accès à ces dispositifs encore méconnus.
Buzz digital et futur en salles
Avant même Yaoundé, le film a déjà tourné sur les grands écrans de Pointe-Noire et de Paris, suscitant des débats passionnés sur les réseaux sociaux. Hashtag #TeamNiamo, extraits TikTok, mèmes Instagram : la stratégie digitale mise sur le bouche-à-oreille générationnel.
D’après la plateforme congolaise VibeStream, la bande-annonce totalise 1,2 million de vues en trois semaines. Les préventes pour la sortie nationale de fin octobre dépassent déjà les attentes des distributeurs. De quoi conforter les investisseurs locaux dans leur pari sur le cinéma.
Vers une nouvelle vague de cinéastes congolais
Au-delà du tapis rouge, « Niamo » rappelle que de Pointe-Noire à Owando, chaque smartphone peut devenir caméra. Si l’élan actuel se confirme, la prochaine décennie pourrait voir éclore une nouvelle vague de réalisateurs congolais fiers de raconter leurs réalités.
Rendez-vous donc le 20 septembre pour l’ouverture officielle des Écrans Noirs. Qu’il décroche un prix ou non, « Niamo » a déjà gagné en offrant au public congolais une raison supplémentaire de célébrer l’imagination locale et de revendiquer sa place sur la carte du cinéma africain.
