Le Democracy Day, pivot symbolique de la IVᵉ République nigériane
Chaque 12 juin, Abuja se pare de drapeaux et de récits héroïques pour honorer l’avènement du pouvoir civil, survenu en 1999 après des décennies de transitions incertaines. L’édition 2025 n’a pas dérogé à la règle : dans le grand amphithéâtre de l’Assemblée nationale, le président Bola Ahmed Tinubu a salué « l’esprit indomptable du peuple » avant de décerner plus de soixante distinctions à des personnalités issues des arts, de l’économie et du monde académique. Aux yeux de nombreux observateurs, cette remise de décorations constitue une diplomatie interne, cousine de nos Palmes congolaises, destinée à cimenter l’unité nationale.
Une “liste additionnelle” surgit des limbes numériques
À peine l’encre présidentielle avait-elle séché qu’une publication apparue le 13 juin sur la plateforme X (anciennement Twitter) affirmait qu’un second lot de récipiendaires avait été discrètement ajouté. Le message, repris des centaines de fois en quelques heures, avançait les noms de l’activiste Aisha Yesufu, du PDG d’Innoson Vehicles Innocent Chukwuma, du pasteur Tunde Bakare et du conseiller à la sécurité nationale Nuhu Ribadu. Pour conférer un vernis d’authenticité, l’auteur brandissait la mention “CON” – Commander of the Order of the Niger –, rang très convoité dans l’arc honorifique fédéral.
La réplique immédiate de la présidence : « fake news »
Bien que de nombreux internautes se soient déjà réjouis, voire indignés, de cette information, la réplique institutionnelle ne s’est pas fait attendre. Le conseiller sénior du chef de l’État pour les médias, Temitope Ajayi, a tranché dès le soir du 13 juin : « Le prétendu élargissement de la liste est un pur montage. Aucune nouvelle série de distinctions n’a été validée au-delà de celles annoncées devant l’Assemblée ». Cette déclaration, reprise par les principaux quotidiens de Lagos à Kaduna, a dissipé le brouillard pour qui voulait bien lire la presse. Mais sur les réseaux, la rumeur poursuivait déjà son propre cycle viral, indifférente aux démentis.
Anatomie d’une rumeur : algorithmes et biais de confirmation
Les spécialistes des médias numériques rappellent que l’environnement algorithmique récompense la nouveauté et l’émotion plutôt que la véracité. Dans un pays de plus de 220 millions d’habitants où l’accès au haut débit s’est démocratisé, une capture d’écran, pour peu qu’elle ressemble à un communiqué officiel, suffit à enclencher des centaines de partages. Le biais de confirmation accentue encore le phénomène : certains utilisateurs, critiques à l’égard de Tinubu depuis les primaires de 2022, trouvaient dans cette « liste » l’argument parfait à leur narrative d’un pouvoir cherchant à amadouer ses adversaires.
Voix d’analystes congolais : vigilance et esprit critique avant tout
Consultée depuis Brazzaville, la politologue Armelle Makosso estime que « la rapidité de propagation d’un tel contenu démontre la porosité médiatique entre les États d’Afrique centrale et ceux d’Afrique de l’Ouest ». Pour le sociologue des médias Jean-Pierre Oba, « les jeunes Congolais, exposés aux mêmes plateformes, gagneraient à se référer systématiquement aux sources primaires, à l’instar du compte officiel de la présidence nigériane consulté dans cette affaire ». Les deux chercheurs saluent par ailleurs l’efficacité de la communication présidentielle nigériane, jugée prompte et factuelle, avant de rappeler que la lutte contre la désinformation est un enjeu panafricain partagé.
Enjeux et résonances pour la jeunesse du Congo-Brazzaville
Au-delà du cas d’espèce, l’épisode souligne la nécessité d’une éducation numérique renforcée. Ici même, le ministère congolais des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique a multiplié, ces derniers mois, des ateliers de sensibilisation contre les infox sur le prix du carburant ou les bourses internationales. Dans les campus de Makoua à Pointe-Noire, des clubs universitaires de fact-checking émergent, témoignant d’une prise de conscience collective. Comprendre le fiasco de la « liste additionnelle » nigériane, c’est donc intégrer un réflexe : vérifier, croiser, contextualiser avant de relayer.
Vers une culture régionale du fact-checking
Le Réseau des journalistes d’Afrique centrale, auquel adhèrent plusieurs reporters congolais, planche actuellement sur une charte commune de vérification qui pourrait servir de garde-fou face aux prochaines élections sous-régionales. En attendant, l’exemple nigérian rappelle que le discernement reste la première ligne de défense citoyenne. Comme le formule l’universitaire béninois Koffi Ayaté, « le fact-checking n’est pas un luxe intellectuel ; c’est la condition même d’une démocratie apaisée ». À l’heure où les frontières de l’information se brouillent, cette discipline devient un outil d’émancipation pour la jeunesse congolaise, avide de données fiables et de débats sereins.
Ce que nous retiendrons de la fausse médaille d’Aisha Yesufu
Aucun communiqué officiel n’a confirmé l’existence d’une liste parallèle ; la présidence nigériane a, au contraire, parlé de fabrication. L’épisode aura toutefois servi de révélateur. Il éclaire la puissance virale d’une simple désinformation et l’importance d’une communication institutionnelle réactive. Aux quatre coins du continent, et notamment au Congo-Brazzaville, la lucidité numérique devient un pilier de la citoyenneté moderne. Reste à chaque internaute le devoir impérieux de questionner la source avant d’ajouter son clic à la grande conversation mondialisée.