Une formation républicaine en terre hexagonale
Lorsque, dans les années soixante, le jeune Note Agathon foule les allées de l’Institut d’études politiques de Paris puis de l’École nationale d’administration, il incarne l’ambition d’un Congo fraîchement indépendant : se doter de cadres maîtrisant les codes de la gestion publique occidentale sans renoncer à leur identité africaine. Ses condisciples décrivent un étudiant méticuleux, « réglé comme une horloge et curieux de chaque nuance des institutions françaises », selon le témoignage d’un ancien camarade de promotion, aujourd’hui professeur émérite de droit public.
La France lui offre un atelier intellectuel foisonnant, où les théories de la planification économique croisent les débats sur la décolonisation. Agathon y puise une conviction : seul un État rigoureusement administré peut préserver, puis accroître, la souveraineté d’un jeune pays. Cette certitude, il la rapportera à Brazzaville avec l’ardeur d’un artisan possédé par son ouvrage.
Le retour au pays et les premiers chantiers
À peine rentré, le diplômé de vingt-neuf ans se voit confier des dossiers réputés délicats : recensement du patrimoine foncier public, modernisation des directions régionales des finances et élaboration d’un embryon de statut général de la fonction publique. Dans un contexte de recomposition politique permanente, il surprend par son sens de la continuité administrative. « Il exerçait une sorte de magistère moral qui transcendait les clivages », raconte un ancien collègue du ministère de l’Économie.
Cette impassibilité face aux turbulences partisanes forge sa réputation de « technocrate stoïque ». L’expression reviendra régulièrement sous la plume des éditorialistes, au point de devenir un quasi-surnom. Déjà affleure son goût du mot juste : Agathon n’hésite pas à rappeler en réunion que « la rationalité budgétaire fait loi comme la gravité gouverne la chute des corps », formule citée maintes fois par les étudiants en finances publiques.
À la tête de l’Ofnacom, l’éthique en action
Le tournant majeur de sa trajectoire se situe en 1978, lorsqu’il prend la direction générale de l’Office national du commerce (Ofnacom). Chargé d’organiser les filières d’import-export, l’établissement subit alors des pénuries chroniques et un déficit de crédibilité auprès des partenaires étrangers. Agathon impose des procédures de traçabilité des denrées, installe un contrôle interne inédit et introduit des audits annuels publics, anticipant de plusieurs décennies les standards internationaux de bonne gouvernance.
Les résultats ne se font pas attendre : la rotation des stocks s’améliore, les fournisseurs européens reviennent, les files d’attente se réduisent sur les quais de Pointe-Noire. En interne, la discipline est inflexible ; un ancien cadre se souvient que « les horaires, comme les marges commerciales, ne souffraient d’aucune approximation ».
Conseiller de l’ombre au plus haut niveau de l’État
Appelé auprès du Premier ministre Jacques Joachim Yhombi-Opango, puis nommé chef de cabinet, il devient l’un des rares hauts fonctionnaires capables de dialoguer à la fois avec les diplomates français, les experts de la Banque mondiale et les responsables syndicaux locaux. Ses notes confidentielles sur la gestion de la dette, dont certaines circulent encore dans les amphithéâtres de l’École nationale d’administration et de magistrature, allient clarté conceptuelle et pragmatisme budgétaire.
Plus tard, à la présidence de la Cour constitutionnelle, sa rigueur sémiotique appliquée au droit renforce la crédibilité de l’institution. « Il disséquait le texte comme un chirurgien », confesse un ancien collaborateur, évoquant des séances nocturnes de délibération ponctuées d’aphorismes latins.
Un franc-parler devenu légende dans les couloirs
Note Agathon ne craint pas la formule acérée. Interrogé, en 1993, sur la persistance de certaines dérives budgétaires, il lâche : « Un trou dans la caisse reste un trou, même peint en patriotique ». La petite phrase court toujours dans les ministères. Ce goût de la clarté, parfois déroutante, séduit les jeunes fonctionnaires qui viennent chercher auprès de lui une alternative à la langue de bois.
Pour autant, il ne verse jamais dans l’irrévérence institutionnelle. Sa loyauté envers l’État est totale, sa critique se voulant toujours constructive. Il aimait rappeler que « la parole est libre, mais la République a ses contours », rappel salutaire dans un environnement où la tentation du slogan peut parfois occulter les exigences de la réalité.
Des adieux qui interrogent une génération
La dépouille du défunt sera transférée à Brazzaville après un moment de recueillement en région parisienne. Les préparatifs, confiés à un comité familial, devraient aboutir à une cérémonie officielle, reflet de la stature de l’homme. Au-delà du protocole, la question de l’héritage demeure : qu’emporteront les jeunes cadres de cette existence scrutée comme un manuel vivant ?
Dans les écoles de commerce et d’administration, plusieurs promotions envisagent déjà de créer un prix « Note Agathon » récompensant le meilleur mémoire sur la déontologie publique. Une façon de perpétuer l’exigence qui fut la sienne et de rappeler qu’un service de l’État, pour rester cohérent, nécessite bien plus que des réformes ponctuelles : il exige la cohérence d’une vie entière. Au soir de son existence, l’ancien élève de l’ENA française n’aura donc pas quitté la scène sans léguer une exceptionnelle leçon de constance.