Une mosaïque écologique rare au cœur du nord Congo
Dans l’immense continuum forestier qui s’étire de la Cuvette à la Sangha, le Parc national Ntokou-Pikounda occupe une place singulière. Classée aire protégée en 2012, cette enclave de 4 572 km² abrite des bassins marécageux, de vastes clairières naturelles et une faune emblématique composée de gorilles de plaine occidentale, d’éléphants de forêt et de bongos. L’intérêt scientifique du site, souvent comparé aux réserves voisines de la Tri-National de la Sangha, a valu au parc d’être présenté comme l’un des poumons verts du Bassin du Congo, second massif forestier tropical du globe.
Mais ce patchwork d’écosystèmes ne se résume pas à sa richesse biologique. Depuis des générations, des communautés bantoues et autochtones y pratiquent la pêche artisanale, la cueillette de produits forestiers non ligneux et un petit élevage de subsistance. La zone tampon du parc — encore imparfaitement délimitée — demeure leur cadre de vie, façonné par des savoirs traditionnels d’une redoutable précision. Assurer la continuité de ces pratiques, tout en préservant un patrimoine naturel convoité, constitue le défi majeur sur lequel se penchera le prochain plan d’aménagement.
Un appel d’offres salué comme un tournant décisif
Le 7 juillet 2025, le Fonds mondial pour la nature a publié un appel à consultation de soixante-dix jours visant à formuler le premier plan d’aménagement officiel du Parc national Ntokou-Pikounda. L’annonce répond à des années de plaidoyer mené par le Centre d’actions pour le développement, organisation congolaise spécialisée dans la défense des droits humains. Dans un communiqué diffusé deux jours plus tard, le C.a.d s’est « félicité de cette avancée structurelle », estimant qu’elle « ouvre enfin la voie à un dialogue authentique entre gestionnaires du parc, institutions publiques et habitants » (communiqué du C.a.d, 9 juillet 2025).
Si la société civile salue l’initiative, elle insiste toutefois sur le respect du calendrier. À Brazzaville, des cadres du ministère de l’Économie forestière rappellent que la Stratégie nationale de la biodiversité 2021-2030 plaide pour des plans d’aménagement participatifs dans toutes les aires protégées. L’exercice constitue, selon eux, « un passage obligé pour harmoniser la conservation, la sécurité des populations et l’attractivité économique ». Le délai maximal de cinq mois retenu par l’appel d’offres vise ainsi à boucler la démarche avant la fin de l’année, étape préalable à la mobilisation de futurs financements verts.
Des garanties attendues sur la gouvernance et les droits fonciers
Au-delà de la rédaction d’un document technique, les parties prenantes espèrent la mise en place d’un mécanisme de gouvernance transparent. Les consultations villageoises devraient permettre d’identifier les pistes de chasse coutumières, les sites sacrés et les couloirs de transhumance souvent ignorés des cartes officielles. L’enjeu est de taille : sans reconnaissance formelle de ces usages, les conflits d’accès aux ressources risquent de se perpétuer, alimentant tensions et incompréhensions.
Des juristes congolais soulignent que la loi portant protection de l’environnement de 2023 consacre déjà le principe du consentement préalable, libre et éclairé des communautés avant toute opération d’aménagement. Le futur consultant devra donc articuler les prescriptions de la législation nationale, les directives du Programme des Nations unies pour l’environnement et les standards du WWF, de manière à garantir un équilibre lisible entre protection stricte et zones d’utilisation régulée.
L’État, pivot d’une coopération multiacteurs réussie
Les autorités brazzavilloises ont réaffirmé leur engagement à exercer un rôle de supervision active. « Le Parc national Ntokou-Pikounda est une vitrine de notre politique climatique et un laboratoire de l’économie verte », confie un haut fonctionnaire du ministère chargé des Forêts. Le gouvernement voit dans le plan d’aménagement un levier pour conforter les contributions déterminées au niveau national déposées dans le cadre de l’Accord de Paris, tout en consolidant la sécurité foncière des villages.
Le retour d’expérience accumulé sur les parcs d’Odzala-Kokoua et de Conkouati-Douli offre, selon ce même responsable, « un corpus d’outils méthodologiques et d’accords tripartites » transposables à Ntokou-Pikounda. La perspective de fonds additionnels du Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo conforte cette approche. Le pilotage étatique, harmonisé avec les compétences techniques du WWF et la veille citoyenne du C.a.d, est présenté comme le triptyque indispensable à la durabilité du projet.
La rivière Bokiba, prochaine étape d’une ouverture progressive
Symbole des relations parfois délicates entre acteurs de la conservation et populations riveraines, la rivière Bokiba demeure sujette à des restrictions de navigation imposées pour lutter contre le braconnage. Des associations locales estiment que ces limitations affectent l’approvisionnement en vivres et compliquent l’évacuation sanitaire des malades vers les centres urbains. Dans son dernier rapport, le C.a.d mentionne « des pertes évitables en vies humaines » imputables à ces contraintes.
Le WWF indique pour sa part qu’un dispositif pilote de contrôle communautaire est à l’étude ; il s’appuierait sur des patrouilles mixtes combinant écogardes et représentants des villages. Si les modalités concrètes restent à finaliser, le principe d’un accès sécurisé et encadré à la Bokiba est inscrit dans la feuille de route 2025, signe d’une volonté d’apaisement et d’une confiance renouvelée.
Jeunesse congolaise et opportunités d’une économie de la conservation
Pour les jeunes adultes de la région, la perspective d’un plan d’aménagement balisé ouvre des horizons professionnels inattendus. La montée en puissance de l’écotourisme, couplée à la recherche scientifique et aux programmes d’agroforesterie, pourrait générer des emplois qualifiés dans des métiers aussi variés que guide naturaliste, technicien drone ou coordinateur de projets climatiques. Les universités de Brazzaville et d’Oyo développent déjà des modules sur la gestion des aires protégées, en adéquation avec ces nouvelles filières.
À terme, le Parc national Ntokou-Pikounda pourrait devenir un foyer d’innovation sociale, associant start-ups locales, coopératives villageoises et partenaires internationaux soucieux de verdir leur chaîne d’approvisionnement. À condition de respecter les échéances annoncées, le plan d’aménagement de 2025 offrirait un cadre juridique stable, indispensable à l’attraction d’investissements et à la construction d’une économie forestière inclusive, résiliente et créatrice de valeur pour la jeunesse congolaise.