Un hommage national au savoir congolais
Le palais des congrès de Brazzaville s’est paré de ses atours protocolaires le 25 juillet 2025 pour accueillir une cérémonie qui, au-delà du rituel, participe à la construction du récit national. En sa qualité de Grand Maître des Ordres Nationaux, le Président Denis Sassou Nguesso a remis la plus haute distinction de l’Ordre du Mérite Congolais au Professeur Théophile Obenga. Devant un parterre d’universitaires, d’acteurs culturels et de membres du corps diplomatique, le chef de l’État a salué « un esprit dont la trajectoire éclaire la voie que le Congo entend tracer, avec humilité et ambition, dans le concert des nations ». La sonorité des tambours traditionnels mêlée à la rigueur du cérémonial républicain a voulu signifier que la modernité congolaise se nourrit d’un dialogue constant entre héritage et futur.
Le parcours académique d’un érudit panafricain
Né à Mbaya en 1936, Théophile Obenga s’est très tôt distingué par une curiosité insatiable pour les humanités classiques et le patrimoine africain. Après des études de philosophie et de langues anciennes à Paris-Sorbonne, il approfondit l’égyptologie auprès de Cheikh Anta Diop. Ses ouvrages consacrés à l’unité linguistique des langues négro-africaines et à la pensée pharaonique font aujourd’hui référence dans les cercles savants. Professeur émérite de l’Université Marien-Ngouabi, puis directeur du Centre International des Civilisations Bantu, il aura consacré plus d’un demi-siècle à la recherche, à l’enseignement et au plaidoyer pour une réappropriation épistémologique africaine.
Cette carrière, ponctuée de conférences à Pittsburgh, Dakar ou Genève, illustre la capacité d’un fils du Congo à dialoguer avec les académies du monde sans jamais renoncer à l’ancrage dans la cité. Le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur l’avait déjà honoré, mais la dignité de Grand-Croix consacre l’envergure d’un itinéraire qui conjugue érudition, service public et diplomatie intellectuelle.
Signification symbolique de la dignité de Grand-Croix
Institué en 1959, l’Ordre du Mérite Congolais distingue les citoyens qui, par leur action, contribuent à l’élévation morale et matérielle de la nation. Le grade de Grand-Croix, rarement attribué, revêt une portée à la fois éthique et stratégique. D’un point de vue éthique, il souligne que la connaissance représente un capital aussi déterminant que les ressources minières ou forestières. Sur le plan stratégique, il inscrit la politique culturelle du pays dans la dynamique d’une « diplomatie du savoir » susceptible de renforcer la visibilité du Congo sur la scène internationale.
Le Ministre de la Culture, Dieudonné Moyongo, a rappelé dans son allocution que « la République reconnaît, à travers le Professeur Obenga, l’autorité des sciences humaines dans la définition des politiques publiques ». L’argument n’est pas anodin à l’heure où l’Union africaine appelle à l’innovation endogène pour atteindre les Objectifs de développement durable.
Impact pour la jeunesse congolaise et la diaspora
Pour les étudiantes et étudiants réunis dans l’hémicycle, l’image d’un compatriote célébré pour ses travaux académiques agit comme un antidote aux tentations de l’exil définitif. « Le message est clair : notre pays peut reconnaître et valoriser ses chercheurs », confie Mireille Ngallé, doctorante en histoire à l’Université catholique d’Afrique centrale. Plusieurs associations de la diaspora ont diffusé la cérémonie en direct sur les réseaux sociaux, soulignant la résonance d’un tel événement pour ceux qui portent l’identité congolaise hors des frontières.
Dans un contexte mondial où l’économie de la connaissance structure la compétitivité des nations, l’exemple d’Obenga rappelle que la formation et la recherche constituent des leviers de souveraineté. Le président de l’Union des Étudiants Congolais, Hervé Massamba, entrevoit « une renaissance intellectuelle capable de canaliser l’énergie créatrice de notre génération vers l’innovation numérique, l’agro-industrie et la gouvernance inclusive ».
Perspectives pour la politique culturelle nationale
Le choix de distinguer un penseur plutôt qu’un capitaine d’industrie ou un athlète de haut niveau éclaire la priorité accordée par l’exécutif à la consolidation du secteur éducatif et culturel. Les réformes en cours, telle la modernisation de la Bibliothèque nationale ou le chantier de la Cité des Arts et des Sciences à Kintélé, trouvent dans la figure du nouveau Grand-Croix un étendard fédérateur. Dans son mot de remerciement, Théophile Obenga a plaidé pour « une archéologie pluridisciplinaire qui mobilise les technologies de l’intelligence artificielle et la sagesse des anciens contes bantous ».
À court terme, le ministère de l’Enseignement supérieur envisage une chaire Obenga d’Humanités numériques panafricaines, afin de capitaliser sur l’héritage du lauréat tout en orientant les jeunes chercheurs vers les problématiques contemporaines. À plus long terme, la distinction pourrait contribuer à attirer des partenariats internationaux et à ancrer la diplomatie culturelle congolaise dans la valorisation des talents nationaux. Dans une région souvent réduite à ses défis sécuritaires ou économiques, l’événement rappelle qu’il existe, au cœur du bassin du Congo, un capital immatériel susceptible d’influencer durablement le récit africain.
L’élan de la reconnaissance et les défis à venir
En saluant l’œuvre d’un savant, la République entend célébrer une certaine idée de l’excellence et tracer, pour la jeunesse, une trajectoire possible vers la réussite intellectuelle. L’enjeu dépasse la simple remise de décoration : il s’agit de bâtir un écosystème où la recherche, la création et l’engagement citoyen se nourrissent réciproquement. Comme l’a souligné le Président Denis Sassou Nguesso, « les nations qui investissent dans l’intelligence de leurs filles et fils sont celles qui écrivent l’Histoire au lieu de la subir ».
Reste, pour les universités, les entreprises et la société civile, à transformer l’enthousiasme en programmes concrets : bourses de doctorat, laboratoires collaboratifs, résidences d’écriture, incubateurs culturels. La dignité de Grand-Croix accordée à Théophile Obenga ouvre un chapitre, mais n’en rédige pas la suite. Ce devoir d’invention incombe désormais à tous ceux qui, de Pointe-Noire à Ouesso, croient dans le pouvoir émancipateur du savoir.