Une vague rose sur les berges de la capitale
Sous un ciel matinal encore frais, plus de mille personnes ont traversé les artères de Brazzaville le 19 octobre, tee-shirts roses sur le dos et slogans optimistes à la bouche. La marche, pilotée par l’Organisation mondiale de la santé et le Programme national de lutte contre le cancer, a lancé Octobre Rose version 2023.
Tambours, vuvuzelas et pas cadencés ont transformé la rive droite du fleuve en ruban solidaire. « Votre énergie prouve que la prévention est l’affaire de tous », s’est réjoui François Libama, conseiller aux programmes au ministère de la Santé, en saluant la mobilisation des quartiers, des lycées et des entreprises.
L’autopalpation, premier bouclier à portée de main
Micro en main, le Dr Vincent Dossou Sodjinou, représentant de l’OMS au Congo, a rappelé que le cancer du sein reste la première cause de mortalité féminine sur le continent. Un constat qu’il ponctue d’un conseil simple : « Palpez-vous chaque jour, car un nodule détecté tôt se soigne plus vite ».
Selon les données de l’agence onusienne, plus de 2,3 millions de nouveaux cas sont enregistrés chaque année dans le monde. Au Congo-Brazzaville, les chiffres officiels évoquent plusieurs centaines de diagnostics annuels, souvent posés tardivement, d’où l’urgence d’adopter l’autopalpation dès l’adolescence.
Les facteurs de risque sous le radar des urbaines
Pour le Pr Judith Ntsonde Malanda, directrice du PNLc, la modernité a importé des habitudes qui aggravent la courbe de la maladie : sédentarité, fast-food, obésité et stress chronique. « Notre message, c’est bouger, respirer, manger local et varié pour réduire l’inflammation », souligne l’oncologue.
La spécialiste insiste aussi sur l’influence de l’hérédité et des expositions environnementales. Les fumées de cuisson au charbon, les polluants urbains ou certains produits cosmétiques sont désormais scrutés par les chercheurs. « Changer de routine semble minime, mais les bénéfices collectifs sont énormes », précise-t-elle.
Sport et bonne humeur contre les cellules rebelles
Entre deux étirements, les bénévoles d’associations sportives ont rappelé qu’une activité physique modérée peut diminuer jusqu’à 20 % le risque de cancer du sein. La marche d’Octobre Rose n’était donc pas qu’un symbole mais un rappel en mouvement des recommandations scientifiques.
« Trente minutes de danse, de vélo ou même de ménage tonique suffisent », explique Clarisse Mouana, coach certifiée qui animait l’échauffement collectif. La professionnelle note que l’exercice régulier aide aussi à contrôler le poids et à évacuer le stress, deux composantes souvent invisibles mais décisives.
Allaitement et succion, des gestes protecteurs reconnus
Les études convergent sur la protection conférée par l’allaitement prolongé. Le Dr Sodjinou mentionne qu’une année cumulative d’allaitement réduit sensiblement la probabilité de tumeur mammaire. Plusieurs mamans présentes ont partagé leur expérience, rappelant que ce choix reste compatible avec la vie professionnelle grâce aux congés maternité renforcés.
Des travaux cités par les praticiens suggèrent également que la stimulation régulière des seins par succion pourrait participer à une meilleure santé mammaire. Si le sujet fait sourire, les experts affirment qu’il mérite d’être intégré aux messages de sensibilisation, sans tabou mais avec pédagogie.
Témoignages: la parole libérée des survivantes
Sur le podium improvisé, Nadège, 32 ans, a captivé la foule en racontant son parcours. Diagnostiquée en 2020, elle arbore aujourd’hui un large ruban rose : « Une boule, découverte sous la douche, a tout changé. J’ai eu peur, puis j’ai foncé ». Son traitement précoce lui a permis de reprendre le travail en un an.
Prisca, 28 ans, a elle-même appris l’autopalpation sur Instagram. « Je l’ai fait un peu par jeu. Quand j’ai senti quelque chose d’anormal, j’ai couru à l’hôpital. Les médecins m’ont rassurée », confie-t-elle, rappelant l’importance du numérique pour toucher les plus jeunes.
Vers un dépistage plus accessible sur tout le territoire
Le ministère de la Santé annonce l’ouverture progressive de centres de dépistage intégrés dans chaque département. Des formations spécifiques sont déjà prévues pour les sages-femmes et les infirmiers, afin de rendre l’examen clinique disponible même en zone rurale.
Un protocole d’exonération des frais de mammographie pour les femmes à faible revenu est aussi à l’étude. « Nous voulons lever toutes les barrières, financières comme culturelles », assure François Libama, convaincu que la prévention réduira les coûts de traitement à long terme pour l’État.
Le rôle clé des réseaux sociaux et de la diaspora
Sur TikTok, le hashtag #OctobreRoseCongo cumule des milliers de vues. Des médecins y diffusent de courtes vidéos tutoriels d’autopalpation, relayées par des influenceuses congolaises expatriées. Cette dynamique numérique renforce le pont entre diaspora et territoire national.
Grâce à WhatsApp, des fichiers audio en lingala, kituba et mbochis circulent dans les groupes familiaux pour toucher les aînées qui ne lisent pas forcément le français. « Plus le message est simple, plus il voyage loin », analyse un community manager bénévole.
Une mobilisation qui dépasse un seul mois
Les organisateurs insistent : Octobre Rose est un déclic, pas une parenthèse. Dès novembre, des clubs de marche gratuits doivent poursuivre l’élan. Des stands de dépistage itinérants sont programmés lors de plusieurs événements populaires, du Fespam aux matchs de Ligue 1 congolaise.
« Notre objectif est clair : d’ici cinq ans, diminuer de moitié les cas diagnostiqués à un stade avancé », résume le Pr Ntsonde Malanda. Les applaudissements qui ont suivi cette déclaration résonnent comme une promesse collective, celle de faire reculer silencieusement un mal évitable.