Une rumeur virale sur les réseaux congolais
Depuis deux semaines, des posts partagés sur WhatsApp et Facebook prétendent que Bernard Bakana Kolélas serait originaire du peuple téké. Le message, souvent accompagné de photos sorties de leur contexte, a cumulé des centaines de partages.
La viralité alimente un débat passionné, parfois tendu, dans les groupes d’étudiants brazzavillois. Au-delà de la curiosité historique, la question touche à la représentation des communautés dans la vie publique congolaise et à la place des leaders charismatiques.
Ethnies sundi-lari et téké, repères historiques
Les Sundis et les Laris forment, avec d’autres sous-groupes kongo, une large mouvance installée entre le Pool et le Kouilou. Les Tékés, présents du plateau Batéké jusqu’à la Cuvette, partagent une histoire commerciale multiséculaire autour des fleuves.
Les chercheurs rappellent qu’aucune frontière ethnique n’est hermétique. Migrations, mariages et mouvements politiques ont toujours créé des chevauchements. C’est dans cet espace fluide que s’inscrit le parcours de la famille Kolélas, souvent au croisement de plusieurs trajectoires.
L’ouvrage « Bernard Bakana Kolélas ou le rendez-vous d’un homme avec son destin » publié en 2022 sert de référence majeure. Il consolide les récits oraux collectés dans le Pool et met au jour des archives coloniales peu exploitées.
Enfance de Bernard Bakana Kolélas à Mboloki
Le futur dirigeant voit le jour le 12 juin 1933 à Mboloki, hameau proche de Mbondzi, district de Kinkala. Son père, Nkouka ma Koutou, est à la fois chef de village, couturier renommé et membre du clan Ntsembo.
Sa mère, Loumpangou Lua Bizenga, appartient au clan Ndamba. Après la séparation du couple, le petit Bernard grandit auprès de son beau-père Binana Bia Mbouala, tisserand respecté installé entre les rivières Ngounounkoutou et Ngabantari.
Trajectoire familiale et installation à Nsouélé
L’année 1934 marque un tournant. Les autorités coloniales traquent les proches d’André Grenard Matsoua, accusés d’agitation. Plusieurs parents de Bernard, dont son oncle Ngoma-Bizenga, sont arrêtés. La famille maternelle décide alors de gagner Nsouélé, périphérie nord de Brazzaville.
À Nsouélé, espace majoritairement téké, les Kolélas s’intègrent sans renier leur identité sundi-lari. Les récits locaux évoquent un jeune Bernard curieux, passant du lari au téké avec aisance, symbole d’une sociabilité propre aux périphéries urbaines.
Étape d’Étoumbi, années de résidence surveillée
Après son arrestation en 1969, Bernard Bakana Kolélas est transféré à la prison de Ouesso. Quatre ans plus tard, il bénéficie d’une amnistie mais reste assigné à résidence à Étoumbi, petite cité forestière de la Cuvette-Ouest.
Durant vingt-et-un mois, il enseigne le français dans le collège local, se lie aux responsables coutumiers tékés et plante un verger encore visible selon l’administration préfectorale. Cette période consolide l’idée d’un homme capable d’élargir son ancrage au-delà du Pool.
Pourquoi les rumeurs prospèrent chez les jeunes
Sur TikTok, plusieurs créateurs de contenu superposent des extraits de discours de Kolélas et des images d’Étoumbi pour suggérer une filiation téké. Le format court, émotionnel, néglige souvent la vérification, encouragé par la chasse au buzz caractéristique des réseaux.
Or, les jeunes internautes recherchent aussi des repères. « Comprendre d’où vient un leader, c’est comprendre l’histoire de nos quartiers », affirme Christelle, étudiante à l’Université Marien Ngouabi. L’absence de cours approfondis sur les ethnies au secondaire laisse un vide informationnel.
La parole des historiens et des témoins
Pour l’historien Alain Mombouli, « la confusion vient souvent de la mobilité des acteurs politiques ». Il rappelle que Bernard parlait plusieurs langues nationales et adaptait son message aux interlocuteurs, pratique fréquente dans un pays plurilingue.
Jean-Luc Massamba, habitant d’Étoumbi, se souvient des matchs de football que Kolélas organisait pour la jeunesse. « Il disait toujours: la forêt est votre banque, apprenez à la replanter. » Un souvenir qui montre l’ancrage local sans bouleverser son identité originelle.
Du côté familial, Françoise Koléla-Kouka insiste : « Notre lignage sundi-lari est documenté depuis l’époque précoloniale. Mais la famille a toujours vécu avec les voisins, qu’ils soient tékés, mbochis ou makoua. » Une pluralité qu’elle juge essentielle au vivre-ensemble.
Identité nationale, une mosaïque partagée
Le cas Kolélas rappelle que l’identité congolaise ne se réduit pas à une case officielle. L’urbanisation, les études, l’exil parfois, floutent les limites. Les archives retracent des trajectoires familiales qui échappent aux simplifications virales.
Pour les chercheurs en sciences sociales, l’enjeu est de rendre ces nuances accessibles sans jargon. Plusieurs programmes, soutenus par le ministère de la Culture, numérisent actuellement registres missionnaires et registres d’état civil afin de consolider une mémoire partagée.
Ce qu’en retiennent les nouvelles générations
Dans un sondage rapide mené à la bibliothèque municipale de Pointe-Noire, vingt-sept lecteurs sur quarante disent s’intéresser à la biographie des leaders pour mieux comprendre les choix politiques contemporains. L’ethnie arrive pourtant seulement en quatrième position des critères évoqués.
« Nos débats se déplacent vers l’emploi, le climat, l’innovation », note Gad, développeur de 25 ans. Si les jeunes cherchent des figures inspirantes, ils semblent moins enclins à juger un responsable sur son clan, même lorsque la toile ravive de vieilles querelles.
En définitive, démêler les filiations de Bernard Bakana Kolélas éclaire autant le passé qu’il questionne l’avenir : comment construire une citoyenneté inclusive tout en respectant les héritages? Une interrogation qui résonne fort auprès de la génération montante.
