Une colère parentale structurée à Brazzaville
Dans la grande salle où se retrouvait l’Association des parents d’élèves et étudiants du Congo, les applaudissements, puis le silence studieux, trahissaient l’intensité d’un moment jugé « historique » par plus d’un participant. Sous la houlette de Christian Grégoire Epouma, également secrétaire général de la Fédération africaine des parents d’élèves, les délégués des départements ont fait converger leurs préoccupations en deux journées d’échanges serrés les 18 et 19 juin 2025. S’il règne un attachement sincère à l’école congolaise, la tonalité générale est celle d’une vigilance accrue face à des dérives que les familles refusent désormais de considérer comme de simples faits divers.
La pédophilie, un signal d’alarme sociétal
Le cas d’Anide Orens Mbatchi, professeur de sciences de la vie et de la terre accusé d’avoir abusé d’un élève de quinze ans, a résonné comme un électrochoc. « Un cancer social qui doit être extirpé avant métastase », a martelé un délégué départemental, rappelant que le Code pénal incrimine sévèrement les violences faites aux mineurs. L’APEEC réclame la prise en charge psychoclinique immédiate de la victime ainsi qu’un renvoi de l’enseignant devant les juridictions compétentes. Au-delà du cas individuel, c’est l’intégrité même de l’espace scolaire qui se trouve questionnée, d’autant que le phénomène, bien que marginal, tend à bénéficier d’une inquiétante tolérance tacite lorsqu’il n’est pas traité avec célérité.
Frais d’examen et promesses non tenues : l’autre face de la crise
Les parents n’ont pas uniquement brandi l’indignation morale ; ils ont également mis en cause la matérialité des coûts supportés par les familles. Dans plusieurs établissements privés, les frais d’inscription aux examens d’État ont été encaissés sans que les élèves soient effectivement enregistrés, plongeant les familles dans un profond désarroi financier et psychologique. L’APEEC cite l’arrêté n°3949 du 26 mai 2017 qui autorise des poursuites pénales à titre individuel ou collectif contre les promoteurs fautifs. C’est donc à la fois la rigueur administrative et la justice commerciale qui sont sollicitées afin d’éviter que l’accès aux examens, déjà synonyme d’angoisse académique, ne se transforme en loterie.
Un arsenal juridique à consolider et à appliquer
Le dispositif normatif ne manque pas de références : décret 96-221 du 13 mai 1996 sur l’exercice privé de l’enseignement, arrêté n°3949 de 2017 cité plus haut, et divers textes encadrant la gestion financière des établissements. Pour les parents, l’enjeu réside moins dans la production de lois nouvelles que dans la mise en œuvre effective des existantes. Ils demandent une réactualisation des critères d’agrément et un futur décret dédié à la gestion comptable des écoles privées, inspiré des comités de gestion présents dans le public. Des voix d’experts, comme celle de la sociologue Gertrude Malanda, estiment que « l’école privée ne doit pas se concevoir comme une simple entreprise marchande, mais comme un service d’intérêt général soumis à une reddition de comptes permanente ».
Parents, État et établissements : un triangle de confiance à refonder
Le sommet de Brazzaville a montré que la vigilance parentale peut coexister avec une volonté de partenariat loyal avec les autorités éducatives. Des représentants du ministère de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’alphabétisation ont salué « la maturité du dialogue » et rappelé l’engagement gouvernemental à protéger la jeunesse, socle du Plan national de développement. Plusieurs pistes sont évoquées, dont la mise en place d’un guichet de signalement unique pour les abus sexuels et les irrégularités financières, ou encore la formation des enseignants à l’éthique professionnelle dès l’entrée en institut pédagogique.
Le temps est désormais celui de la consolidation. Les parents réclament des inspections inopinées, des audits financiers et un accompagnement psycho-social systématique en cas de violence. Les autorités, pour leur part, insistent sur l’importance d’éviter les amalgames afin de ne pas stigmatiser l’ensemble du secteur privé, source d’innovation et d’emplois. L’équilibre entre fermeté et encouragement à la qualité s’annonce délicat, mais la jeune génération, majoritaire dans la démographie congolaise, surveille de près sa concrétisation.
Vers une culture de la tolérance zéro
En clôturant les travaux, Christian Grégoire Epouma a évoqué « l’amorce d’un pacte moral national » où chaque acteur, de la salle de classe au palais de justice, doit prendre sa part de responsabilité. La crédibilité de l’école congolaise, affirme-t-il, dépendra de sa capacité à garantir un environnement non seulement propice à l’apprentissage, mais également irréprochable sur le plan éthique et financier. Si l’expression « cancer social » a heurté certaines sensibilités, elle a toutefois permis de rappeler que la protection de l’enfant n’est pas négociable.
À l’issue de cette assemblée, l’APEEC entend poursuivre ses campagnes de sensibilisation dans les quartiers et renforcer la coopération avec les forces de l’ordre pour un traitement judiciaire accéléré des plaintes. Les mois à venir diront si les résolutions adoptées à Brazzaville se traduiront en pratiques pérennes. Pour l’heure, un message clair se détache : dans la République, l’école demeure un bien commun, et la jeunesse, un trésor qu’il revient à chacun de préserver.