Une étoile congolaise s’éteint à Paris
La scène culturelle congolaise vient de perdre l’une de ses voix légendaires. Pierre Moutouari, auteur de l’inoubliable « Missengue », s’est éteint le jeudi 8 octobre 2025 à Paris, à 75 ans. Son départ plonge mélomanes et artistes dans une profonde émotion.
Selon son entourage, l’artiste était hospitalisé depuis plusieurs semaines, luttant contre des complications cardiaques. Les formalités pour le rapatriement de sa dépouille vers Brazzaville sont en cours, et un hommage national se prépare déjà au ministère de la Culture.
Des débuts prometteurs à Brazzaville
Né à Brazzaville en 1950, Pierre grandit dans un foyer où la musique résonnait du matin au soir. En 1968, il décroche le premier prix des chanteurs amateurs organisé par le ministère de la Culture, une récompense décisive qui propulse sa jeune carrière.
Son frère aîné, Kosmos Moutouari, le fait entrer au prestigieux orchestre Bantou de la Capitale. Là, Pierre troque peu à peu la guitare pour le micro et affine un style mêlant rumba non chauffée et influences populaires des quartiers sud de Brazzaville.
L’envol international et l’âge d’or du soukous
Au début des années 1970, il rejoint Sinza Kotoko, ex-Super Tumba, et s’impose immédiatement avec des titres devenus cultes comme « Vévé nga na lingaka » ou « Ma Loukoula ». L’ensemble remporte la médaille d’or au Festival panafricain de la jeunesse de Tunis en 1973.
Ces succès l’inscrivent parmi les architectes du soukous, un courant dansant qui électrise alors les pistes d’Afrique centrale. « Nous voulions que la rumba se modernise sans perdre son âme », confiera plus tard Pierre lors d’une interview sur Radio Congo.
En 1979, cap sur la France. Installé en région parisienne, il signe chez Safari Ambiance et collabore avec Jacob Desvarieux, Denis Loubassou ou encore Sammy Massamba. Les albums « Koundou » et « Mbekani » voient le jour, accompagnés de deux disques d’or retentissants.
Retour au pays et partage de l’héritage
Après sept années de tournée européenne, Pierre rentre à Brazzaville en 1986. Loin des projecteurs parisiens, il souhaite transmettre. Il anime des ateliers d’écriture, conseille les jeunes orchestres et enregistre « Héritage » avec sa fille Michaël, un opus salué jusque dans les hit-parades nigérians.
En 1994, le Festival Ngwomo Africa de Kinshasa le consacre « meilleur chanteur-compositeur ». Cette reconnaissance continentale fait de lui un mentor naturel pour la nouvelle génération congolaise émergente dans les années 1990, de Extra Musica à Patrouille des Stars.
Les années de turbulence et la résilience
La décennie suivante est plus rude. La guerre de juin-octobre 1997 bouleverse la scène culturelle et détruit son réseau de distribution musicale. « Nous avons tout perdu du jour au lendemain », raconte-t-il, lucide, dans un documentaire diffusé sur Télé Congo en 2001.
Contraint de se réinventer, il multiplie les concerts play-back en Afrique de l’Ouest, ouvre un bar-dancing à Pointe-Noire et produit des compilations maison pour rester visible. L’album « Songa nzila » en 2005 rappelle son sens inné de la mélodie et relance brièvement les ventes.
Mais la santé finit par l’emporter sur la scène. Victime d’une attaque cardio-vasculaire, Pierre ralentit, puis confie sa carrière à One 1 Shuttle Production en 2006 avant de se retirer presque totalement. Il continuait toutefois à composer, la guitare toujours posée près du fauteuil.
Un legs musical qui traverse les frontières
De « Missengue » à « Aïssa », son répertoire reste diffusé dans les mariages, les maquis et les playlists numériques de la diaspora. Sur TikTok, la version remasterisée de « Missengue » cumule déjà des milliers de créations de danse, preuve d’une influence intergénérationnelle intacte.
L’ethnomusicologue Rachel Nkounkou souligne que Pierre Moutouari « a contribué à internationaliser la rumba congolaise tout en posant les bases d’un soukous sophistiqué ». Pour elle, son œuvre synthétise « l’esprit d’ouverture et la joie de vivre du bassin du Congo ».
Au ministère de la Culture, un comité travaille déjà sur la numérisation de ses archives afin de les rendre accessibles aux jeunes créateurs. L’idée est de favoriser des remixes officiels et d’assurer des revenus à la famille, dans la droite ligne de la nouvelle stratégie économique du secteur.
La planète musique lui rend hommage
En Europe, plusieurs radios communautaires programment déjà une soirée spéciale retraçant sa discographie. Les animateurs comptent faire intervenir d’anciens musiciens de Kassav’ pour partager des anecdotes inédites, tandis que la plateforme Boomplay prévoit une playlist éditoriale consacrée à son œuvre, accessible gratuitement pendant quarante-huit heures.
Chez les disquaires de Brazzaville, les premiers pressages vinyles se revendent déjà à prix d’or, signe tangible de la redécouverte patrimoniale que suscite son départ.
Brazzaville se prépare à l’adieu
Une veillée artistique ouverte au public est annoncée pour la semaine prochaine au Palais des congrès de Brazzaville. Chanteurs, danseurs et influenceurs y reprennent déjà le mot-dièse #RIPMoutouari, signe que le Congo, sans oublier son passé, célèbre toujours ses bâtisseurs sonores.
À 75 ans, Pierre Moutouari tire sa révérence, laissant derrière lui plus de quarante singles, une dizaine d’albums et surtout un souffle de liberté rythmique. Sa disparition clôt un chapitre, mais ouvre la porte à celles et ceux qui feront vibrer demain le soukous congolais.