Une soirée dédiée aux mots
Sous les lustres du Centre culturel Jean-Baptiste Tati-Loutard, Brazzaville a vibré le 13 septembre au rythme des vers et des riffs de guitare qui ouvraient la 5e édition de Plum’Art-Z. Le public, majoritairement jeune, s’est massé dès le crépuscule pour applaudir ses auteurs préférés.
L’association au nom pétillant, fondée en 2016, veut prouver qu’un rendez-vous littéraire peut être aussi convivial qu’un concert. Résultat : fauteuils colorés, décor végétal et ambiance instagrammable ont transformé la remise de prix en véritable show culturel.
Les huit genres littéraires célébrés
Plum’Art-Z distingue chaque année l’essai, le roman, la poésie, la nouvelle, le conte, le théâtre, la critique littéraire et la lecture publique. « Nous voulons couvrir tout l’arc-en-ciel de l’écriture congolaise », a expliqué la modératrice, rappelant que ces catégories reflètent la diversité de la production locale.
Chacune dispose de son trophée arborant une plume stylisée. Le geste peut sembler symbolique, mais il installe un repère clair pour les lecteurs et suscite la saine émulation entre auteurs, selon plusieurs éditrices présentes.
Focus sur les lauréats 2024
Le jury, présidé par le critique Rosin Loemba, a livré un palmarès qui fait déjà bruisser les réseaux sociaux. Noël Nkodia Ramatha remporte le Grand Prix de la critique pour son regard pointu sur la littérature francophone. Omer Massem décroche celui de la poésie grâce à des textes mêlant lingala et français.
Émile Gankama s’impose dans l’essai avec une réflexion sur l’économie circulaire appliquée aux quartiers de Brazzaville. Le roman salué cette année, signé Jean-Rodrigue Ngakosso, explore les secrets d’une famille entre Pointe-Noire et Paris.
Pour la nouvelle, le jury a distingué Emmanuel Eta-Onka, représenté par sa fille Claudia Christelle Eta Likibi. Malachie Cyrille Ngouloubi triomphe dans le conte avec une fable écologique, tandis qu’Yvon Wilfrid Lewa-Let Mandah décroche le prix théâtre pour une pièce sur la solidarité intergénérationnelle.
Enfin, Jacques Nkéoua Oumba repart auréolé du titre de meilleur lecteur de textes, prouesse saluée par une ovation debout.
Table-ronde : raconter sa propre histoire
Entre deux remises, une discussion intitulée « Et si chaque écrivain racontait son histoire » a permis aux lauréats passés et présents de dévoiler leur parcours. Pour la romancière Mélanie Bissila, invitée surprise, « l’humilité reste la meilleure encre ». La formule a déclenché un tonnerre d’applaudissements.
Les intervenants ont insisté sur la nécessité de rester exigeant sans céder aux sirènes de la facilité. « La littérature n’est pas un sprint, mais un voyage », a lancé Rosin Loemba, sourire aux lèvres.
Pourquoi honorer les auteurs de leur vivant
Ulrich Bakoumissa Ngouani, fondateur et promoteur de l’événement, rappelle que nombre d’écrivains congolais ont été acclamés tardivement, parfois à titre posthume. « Notre moteur, c’est d’applaudir aujourd’hui ceux qui écrivent maintenant », a-t-il confié en coulisses.
Il assume une ambition claire : populariser des plumes locales avant que le temps n’efface les visages derrière les livres. Pour lui, ces récompenses anthumes créent une mémoire collective qui sert d’étendard à la culture congolaise.
Deux catégories de distinctions
Le prix se décline en deux volets. Le premier sacre les gagnants du concours annuel dont le manuscrit a séduit le jury. Le second, dit « éponyme », porte carrément le nom du lauréat sacré, marquant la trace durable de son influence sur la littérature nationale.
Une mention spéciale gravée sur chaque diplôme rappelle ainsi « l’influence des œuvres dans la littérature congolaise d’expression française ». L’inscription, sobre mais explicite, a fait briller les yeux des récipiendaires.
La jeunesse au cœur de la fête
À l’avant-scène, des lycéens ont décliné des slams imprégnés de préoccupations urbaines : pollution, réseaux sociaux, avenir professionnel. Le contraste entre leurs rimes brutes et les textes chevronnés primés plus tard a illustré un pont générationnel voulu par les organisateurs.
Nombre d’élèves sont repartis avec des dédicaces fraîchement signées, moment souvent partagé en story sur Instagram. « J’écris depuis le collège, voir ces auteurs me motive », confie Ange, 17 ans, livret de notes serré contre son cœur.
Des retombées économiques et culturelles
Les librairies partenaires notent déjà un frémissement des ventes des ouvrages lauréats. Selon la gérante de La Semeuse, une hausse de 25 % est enregistrée la semaine suivant l’événement. Les éditeurs y voient la preuve qu’un prix local bien médiatisé peut dynamiser toute la filière.
Au-delà des chiffres, Plum’Art-Z renforce la visibilité de Brazzaville comme ville créative, complémentaire du Fespam et des festivals d’arts visuels. Un positionnement salué par les autorités culturelles, présentes discrètement parmi le public.
Regards croisés sur la critique
Noël Nkodia Ramatha, nouveau Grand Prix de la critique, plaide pour un regard « bienveillant mais exigeant » sur les œuvres. Il rappelle que la critique littéraire nourrit le débat intellectuel et fait progresser l’écriture. Son prochain ouvrage décortiquera la place du mythe dans le roman congolais contemporain.
Le jury souligne que la catégorie critique, souvent négligée, mérite un éclairage accru parce qu’elle accompagne aussi l’émergence de nouveaux talents.
Poésie et oralité, un duo intemporel
Sacré poète de l’année, Omer Massem revendique un style hybride, oscillant entre rythmes bantous et alexandrins classiques. « Je récite parfois mes vers sur un fond de maracas comme le faisait mon grand-père », confie-t-il. Sa prestation a fait lever des téléphones pendant de longues minutes.
Le public découvre ainsi que la poésie congolaise n’est pas figée dans les recueils, mais s’inscrit dans une performance qui parle autant au regard qu’à l’oreille.
L’essai, laboratoire d’idées locales
Le travail d’Émile Gankama sur l’économie circulaire retient l’attention des étudiants en sciences sociales, nombreux dans l’assistance. Son livre, fruit d’enquêtes de terrain à Talangaï et Makélékélé, propose de transformer les déchets organiques en compost communautaire.
« J’ai écrit pour que chacun voie l’économie autrement, pas seulement comme une affaire de chiffres », explique-t-il, conscient de la portée pédagogique de son ouvrage.
Une note théâtrale pleine d’humour
La pièce d’Yvon Wilfrid Lewa-Let Mandah détourne les situations familiales pour parler de transmission de valeurs. Plusieurs extraits joués par la troupe du Conservatoire d’art dramatique ont fait rire la salle, prouvant que le théâtre reste le miroir ludique de nos réalités quotidiennes.
Le dramaturge espère lancer une tournée nationale, convaincu que la scène est un excellent vecteur d’échanges intergénérationnels.
Un conte écologique primé
Le conteur Malachie Cyrille Ngouloubi embarque les auditeurs dans une savane où les animaux débattent du réchauffement climatique. À travers cette fable, il veut sensibiliser sans culpabiliser. « Le conte touche l’enfant en nous », glisse-t-il, sourire malicieux, carnet de notes au creux de la paume.
Son manuscrit sera prochainement adapté en livre illustré pour le cycle primaire, annonce-t-il, visiblement ému.
Lire, un art aussi récompensé
Jacques Nkéoua Oumba a bluffé le jury en lisant un passage de trois pages sans regarder le texte, modulant sa voix comme une onde de radio. Sa récompense rappelle que la littérature vit pleinement lorsqu’elle est partagée, portée par un souffle et une diction.
« Lire, c’est prêter sa chair aux mots », a-t-il déclaré, recevant un tonnerre d’applaudissements.
Rendez-vous en 2026
Au terme de la soirée, Ulrich Bakoumissa Ngouani a annoncé que la prochaine édition se déroulera en 2026, afin de laisser le temps aux auteurs de mûrir des manuscrits inédits. L’appel est lancé : la littérature congolaise a deux ans pour surprendre de nouveau.
D’ici là, Plum’Art-Z promet des ateliers d’écriture, des clubs de lecture et un podcast mensuel pour maintenir la flamme. Une perspective qui réjouit déjà les jeunes voix de Brazzaville et Pointe-Noire.
