Une mémoire encore douloureuse
À moins de deux ans de l’élection présidentielle, le département du Pool revit des souvenirs qu’il croyait enfouis. Le débat public s’anime autour de la possible candidature du Révérend Pasteur Ntumi, ancien chef rebelle devenu leader politique, toujours perçu comme une figure controversée.
Dans un manifeste rendu public par Raoul Ludovic Loubelo et Chaplin Ben Feride Nziki Mahoungou, le mouvement MBoongi de la diaspora du Pool exprime son inquiétude. Selon ses initiateurs, le retour politique de Ntumi pourrait rallumer les braises d’un conflit que la région peine encore à digérer.
Le Pool a subi plusieurs cycles de violence depuis la fin des années 1990. Le dernier épisode majeur, entre 2016 et 2018, a entraîné déplacements forcés, pertes économiques et traumatisme social, rappellent des organisations locales de la société civile, en appelant à une vigilance accrue des décideurs.
La montée en puissance du Pasteur Ntumi
Frédéric Bintsamou, dit Pasteur Ntumi, dirige aujourd’hui le Conseil national des républicains (CNR). Le ministère de l’Intérieur a délivré en 2022 l’autorisation légale d’activité à cette formation, signe d’ouverture démocratique salué par certains analystes tout en restant source d’appréhension dans le Pool.
Pour le MBoongi, la reconnaissance du CNR ne résout pas la question sécuritaire. Les signataires estiment qu’un leader encore entouré d’anciens combattants armés ne peut mener une campagne apaisée. Ils craignent la confusion entre opérations militaires et efforts de mobilisation électorale dans les villages isolés.
Positions divergentes des acteurs locaux
Interrogé, un responsable local du Parti congolais du travail souligne que « la loi garantit à tout citoyen le droit de se porter candidat ». Il rappelle également que l’État a lancé plusieurs programmes de désarmement et de réintégration qui ont déjà touché plus de 5 000 ex-combattants.
Du côté des jeunes du Pool, les avis divergent. Certains y voient l’opportunité d’un réel pluralisme, d’autres redoutent la réouverture de lignes de fracture ethno-politiques. « Nous voulons des emplois, pas des rafales », résume Désiré, 24 ans, vendeur de téléphones à Kinkala.
Les garanties institutionnelles annoncées
Pour les observateurs, l’équation dépasse la personne de Ntumi. Le prochain scrutin se jouera aussi sur l’équilibre entre sécurité et participation citoyenne. Le gouvernement a promis de renforcer la Commission nationale électorale indépendante et d’étendre l’enrôlement biométrique aux zones rurales difficiles d’accès.
À Brazzaville, des experts en résolution de conflits plaident pour un dialogue inclusif avant l’ouverture officielle de la campagne. « Il faut anticiper, pas réagir », insiste le politologue Thierry Massanga, rappelant que la prévention des violences électorales économise des ressources publiques et préserve la cohésion nationale.
Le manifeste du MBoongi évoque la possibilité de marches pacifiques, de Kinkala au repaire supposé de Ntumi, si rien n’évolue. Les autorités départementales exhortent toutefois à respecter le cadre légal encadrant les manifestations, rappelant que l’état d’urgence décrété en 2016 a été levé depuis quatre ans.
L’économie du Pool à l’épreuve de la paix
Les indicateurs socio-économiques rappellent l’enjeu d’une stabilité durable. D’après l’Institut national de la statistique, le taux de pauvreté atteint encore 64 % dans plusieurs districts du Pool, et l’agriculture vivrière représente l’unique source de revenus pour la majorité des ménages.
Une recrudescence de tensions ferait fuir les investisseurs privés déjà timides. Le secteur du cacao, relancé en 2021 avec l’appui d’une coopérative sud-africaine, pourrait perdre ses acheteurs. Même inquiétude pour le projet routier Kinkala–Mindouli, financé à 40 % par la Banque africaine de développement.
Appels citoyens et initiatives de veille
Face à ces données, plusieurs responsables religieux appellent au calme. L’archevêque de Brazzaville a indiqué dans son homélie du dimanche que « la paix n’est pas l’affaire d’un seul homme mais d’une communauté ». Le message trouve un écho positif auprès d’associations de femmes commerçantes.
Le gouvernement martèle que la Constitution garantit l’inclusivité du scrutin et que tout problème de sécurité fera l’objet d’une réponse proportionnée. Les forces publiques, affirme le colonel Florent Goma, « travaillent déjà avec les chefs de village pour cartographier les zones sensibles et prévenir tout dérapage ».
Pour préparer 2026, la plateforme d’innovation citoyenne Talents du Pool propose de former mille jeunes aux techniques de monitoring électoral via smartphone. L’initiative, soutenue par l’UNICEF, veut transformer d’anciens témoins de la guerre en sentinelles numériques capables de remonter en temps réel les incidents.
Scénarios et attentes à deux ans du scrutin
Reste la question centrale : Ntumi se déclarera-t-il candidat ? Proche du dossier, un cadre du CNR assure que toute décision sera prise « en concertation avec la base », sans donner de calendrier. Le suspense alimente les conversations dans les marchés comme sur les réseaux sociaux.
Entre aspiration au pluralisme, impératif de sécurité et mémoire des violences, le Pool avance sur une ligne de crête. Le défi consiste désormais à garantir une compétition loyale, tout en protégeant les populations, afin que la présidentielle 2026 se vive comme un nouveau départ, pas comme un risque.
Dans les cafés de Kinkala, beaucoup résument ainsi l’enjeu : « notre vote doit guérir, pas blesser ». C’est peut-être là, dans cette aspiration simple, que se forge déjà la véritable campagne.
