Chronologie vérifiée de l’interpellation contestée
Mercredi 9 juillet 2025, aux environs de 19 h 30, Me Bob Kaben Massouka, avocat inscrit au Tableau du Barreau de Brazzaville, a fait l’objet d’une interpellation par des agents identifiés par plusieurs témoins comme appartenant à la Centrale d’intelligence et de documentation. L’opération s’est déroulée dans un quartier animé du centre-ville, alors que l’avocat regagnait son domicile. Selon ses proches, la mesure de privation de liberté s’est accompagnée d’une communication limitée, le Conseil de l’Ordre n’en étant avisé que tard dans la nuit.
Au matin du 10 juillet, le bâtonnier Me Brigitte Nzingoula a convoqué une assemblée générale extraordinaire dans la grande salle d’audience du Palais de justice. Présents, Me Christian-Eric Locko, président de l’Ordre national des avocats, ainsi qu’une centaine de robes noires, ont sollicité des précisions auprès du parquet. À l’heure où ces lignes sont écrites, aucun communiqué officiel ne détaille le fondement juridique de la garde à vue, même si plusieurs sources judiciaires évoquent une possible implication de l’intéressé dans l’accompagnement juridique d’un collectif citoyen envisageant une marche pacifique le 10 juillet.
Cadre légal de l’arrestation des auxiliaires de justice
Le statut de l’avocat congolais, précisé par la loi n° 22-92 du 20 août 1992 portant organisation de la profession, subordonne toute mesure coercitive à l’égard d’un avocat à la présence du bâtonnier ou, à défaut, du procureur général. Cette garantie procédurale, héritée des principes directeurs des Nations unies relatifs au rôle du barreau, vise à préserver le secret professionnel et à éviter toute instrumentalisation. Interrogé, Me Dieudonné Ndinga, professeur de droit public, estime que « cette formalité n’est pas un privilège, mais la traduction d’une exigence essentielle pour la confiance des justiciables ».
Dans le cas d’espèce, les autorités compétentes n’ont pas encore confirmé les modalités exactes de l’interpellation. Un responsable sécuritaire, requérant l’anonymat, rappelle néanmoins que les services de renseignement disposent d’un mandat légal de prévention des menaces pour la sécurité publique et que, dans certaines situations, l’urgence peut justifier une intervention immédiate, avant régularisation auprès de l’autorité judiciaire.
Le choix d’une grève illimitée : portée et limites institutionnelles
À l’issue de leur assemblée générale, les avocats ont annoncé la suspension de leurs audiences et consultations jusqu’à la remise en liberté de leur confrère. La mesure, dans un ressort judiciaire comptant plus de deux millions d’habitants, paralyse les audiences civiles, commerciales et pénales. Le bâtonnier souligne que « sans défense, la chaîne pénale s’interrompt, et c’est l’ensemble des justiciables qui en pâtissent ».
Sur le plan institutionnel, la Cour suprême a rappelé à plusieurs reprises que le droit de grève est reconnu aux membres des professions libérales, sous réserve du maintien des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Pour prévenir toute atteinte aux droits de la défense, des permanences volontaires pourraient être activées, à l’image de précédentes mobilisations en 2018 et 2022, solutions saluées par la société civile.
Entre prévention sécuritaire et droits fondamentaux : recherche d’équilibre
La situation socio-économique actuelle nourrit de nombreux débats sur les réseaux sociaux, espace où se multiplient les appels à la mobilisation citoyenne. Les services compétents rappellent que la liberté de réunion demeure encadrée par la législation relative à l’ordre public, de sorte que toute manifestation doit être préalablement déclarée. Dans le même temps, ONG juridiques et universitaires insistent sur la nécessité de garantir la protection des défenseurs des droits et l’indépendance du barreau.
Pour le politologue Alain Okombi, « le défi est de préserver la stabilité, tout en renforçant la transparence des procédures ». Ce point de vue rejoint celui du Conseil économique, social et environnemental, qui encourage la mise en œuvre d’un dialogue technique permanent entre ministères régaliens et représentants des professions judiciaires afin de désamorcer les tensions.
Perspectives de dialogue entre Barreau et autorités
Dans un communiqué diffusé en soirée, le ministère de la Justice a réaffirmé son attachement au respect scrupuleux des garanties procédurales et annoncé que le procureur général suit « avec la plus grande attention » l’état d’avancement de la garde à vue. Le ministère de l’Intérieur, de son côté, assure qu’une enquête interne vise à clarifier la séquence opérationnelle, gage de confiance entre citoyens et force publique.
Les prochains jours seront déterminants : la mise à disposition du dossier au bâtonnier, attendue par la profession, pourrait ouvrir la voie à la reprise progressive des audiences. Dans l’intervalle, plusieurs organisations de jeunesse appellent à la retenue et à la sérénité, convaincues que l’État de droit sort renforcé de l’application harmonieuse des textes. Comme le résume un jeune juriste croisé devant le Palais de justice, « l’avenir institutionnel du pays dépend de notre capacité à conjuguer fermeté, légalité et dialogue ».
Au-delà de l’affaire individuelle, l’épisode rappelle la centralité du barreau dans l’architecture judiciaire congolaise. La poursuite d’un échange constructif entre les autorités et les auxiliaires de justice apparaît aujourd’hui comme la voie la plus prometteuse pour garantir, d’une part, la sécurité collective, et d’autre part, l’effectivité des droits de la défense. Les regards convergent désormais vers la salle des pas perdus, lieu symbolique où naissent souvent les compromis républicains.