Brazzaville s’embrase au rythme des voix féminines
Le Palais des Congrès de Brazzaville, déjà vibrant des sonorités métissées du Festival panafricain de musique, a résonné d’une émotion inédite lorsque les lumières se sont tamisées pour la projection de « Rumba congolaise, les héroïnes ». Devant un public composé d’étudiants, de chercheurs et de mélomanes, le Président Denis Sassou Nguesso a lui-même pris place, saluant par sa présence l’engagement croissant des femmes dans la valorisation du patrimoine national.
L’événement, point d’orgue de la douzième édition du Fespam, a suscité un enthousiasme contagieux parmi la jeunesse congolaise, souvent en quête de modèles artistiques féminins auxquels s’identifier. Entre applaudissements spontanés et échanges passionnés à la sortie de la salle, le film a conforté l’idée que la rumba, loin d’être un simple divertissement, demeure un vecteur de cohésion sociale et un miroir de l’histoire collective.
Le regard engagé de Yamina Benguigui
Pour son second opus consacré au Congo, la réalisatrice et ancienne ministre française de la Francophonie Yamina Benguigui a adopté une approche quasi anthropologique. Constatant l’absence de figures féminines lors de la récente célébration de l’inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’Unesco, elle a conçu un récit de soixante-dix minutes mêlant archives rares, scènes contemporaines et récits intimistes recueillis des deux côtés du fleuve.
« Je ne fais pas un film sur la nostalgie, je raconte la persistance d’un art qui a façonné des destins féminins », confie la cinéaste, insistant sur la nécessité de tisser un fil entre la période coloniale, les indépendances et l’essor actuel des industries culturelles africaines. Sa caméra, tour à tour tendre et incisive, fait dialoguer passé et présent sans rien céder au folklore.
Pionnières de la rumba : sortir de l’ombre
Le documentaire réhabilite des figures longtemps reléguées aux marges des anthologies musicales. De la voix cristalline de Lucie Eyenga à la puissance scénique de Mbilia Bel, en passant par la virtuosité de Faya Tess et la modernité de Barbara Kanam, les trajectoires se croisent et dessinent une cartographie sensible de la création féminine. Du côté de Brazzaville, la rappeuse-slameuse Mariusca Moukengue incarne la relève, réaffirmant que la rumba n’est pas l’apanage d’une seule génération ni d’un seul genre musical.
« Il était impératif de chasser ces femmes de l’invisibilité », martèle Yamina Benguigui. Sur le tapis rouge, Barbara Kanam lui répond : « Nous avons enfin un miroir fidèle de notre contribution. Que l’impact de la rumba serve aussi à dénoncer les inégalités persistantes ». L’échange, relayé par de nombreux médias, révèle la lucidité d’artistes conscientes de leur pouvoir d’influence dans la transformation sociale.
Une inscription patrimoniale porteuse d’avenir
Classée au patrimoine mondial immatériel de l’humanité en 2023, la rumba bénéficie désormais d’une aura institutionnelle qui ouvre des perspectives inédites. Mme Fatoumata Barry Marega, représentante de l’Unesco, rappelle que « la reconnaissance n’est qu’une étape ; elle doit s’accompagner d’une politique active de formation, de protection des droits d’auteur et de diffusion numérique ».
Le soutien conjoint des autorités de Brazzaville et de Kinshasa, alliés aux experts culturels de l’Unesco, crée un écosystème où le film de Benguigui joue le rôle de catalyseur. En positionnant les artistes féminines comme pivots de cette dynamique, le projet contribue à renforcer la diplomatie culturelle sous-régionale, tout en consolidant la visibilité internationale de la jeunesse congolaise.
Cultiver la relève : enjeux éducatifs et économiques
Selon les estimations du Bureau congolais des droits d’auteur, le secteur musical représente déjà plus de 5 % des emplois culturels urbains. À l’heure où les plateformes de streaming bouleversent la chaîne de valeur, la mise en avant des interprètes féminines encourage les jeunes Africaines à investir des formations en production, ingénierie sonore et management artistique, domaines encore dominés par les hommes.
Mariusca Moukengue insiste : « L’artiste est la voix des sans-voix, mais aussi un entrepreneur potentiel ». Son propos, repris sur les réseaux sociaux, souligne l’importance d’intégrer la rumba aux programmes scolaires et universitaires, afin de créer des passerelles entre savoir académique, innovation numérique et développement local.
Vers une diplomatie culturelle inclusive
Au-delà du prestige artistique, la réussite du film illustre la capacité du Congo-Brazzaville à promouvoir des initiatives qui associent mémoire, modernité et égalité. Le Fespam, en devenant un laboratoire de coopération interafricaine, conforte la stratégie nationale visant à positionner la culture comme pilier de la diversification économique.
Alors que s’achèvent les festivités, un consensus se dessine : la visibilité retrouvée des héroïnes de la rumba n’est ni un aboutissement ni un simple correctif historique, mais le point de départ d’une mobilisation durable. Au cœur de cette dynamique, la jeunesse congolaise trouve matière à inspiration, conviction et projection vers un avenir où création rime avec inclusion.