Rumba, SAPE et gastronomie : un triptyque identitaire
À Brazzaville comme à Pointe-Noire, trois symboles fédèrent les playlists, les dressings et les assiettes des Congolais : la rumba, la sape et la gastronomie. Ces héritages s’invitent dans les rues, sur TikTok et dans les restaurants, rappelant d’où nous venons.
Un ouvrage richement illustré, signé Eugénie Mouayini Opou, décortique ces pratiques pour montrer comment elles aident à apprendre, à se souvenir et à transmettre. L’autrice parle de « ponts générationnels » capables de connecter la mémoire des anciens au souffle créatif des jeunes.
Rumba déposée au patrimoine immatériel de l’UNESCO, art vestimentaire flamboyant de la SAPE, recettes mijotées au feu de bois : trois terrains d’expression qui portent l’âme du Congo-Brazzaville et séduisent déjà la diaspora toujours avide de repères authentiques.
Eugénie Mouayini, plume au service des racines
Connue pour Le Royaume Teke paru en 2005, Eugénie Mouayini campe une figure de passeuse entre modernité et tradition. Sa lignée Akouatsan la pousse à documenter les rituels, les légendes et les saveurs qui jalonnent l’histoire de son peuple.
Surnommée « La Reine moderne », elle explique vouloir « rendre visible ce que les archives officielles oublient ». En assurant la direction d’ouvrage, elle orchestre témoignages et analyses universitaires pour offrir un panorama aussi vivant qu’un afterwork à Poto-Poto.
Une bibliothèque vivante à parcourir
Le livre prend des allures de playlist papier. Chaque chapitre mêle photos d’époque, QR codes vers de la rumba classique, croquis de vestes en cachemire et fiches recettes détaillées. Résultat : une expérience immersive qui parle autant à l’œil, l’oreille qu’au palais.
La mise en page colorée est confiée au graphiste Armel Nkouka, habitué des flyers de soirées afro-house. Ses motifs kaléidoscopiques prolongent la fête visuelle et donnent envie de poser le livre sur la table basse comme un objet déco à part entière.
Au fil des pages, on apprend comment les orchestres de la rive droite ont popularisé des rythmes cubains, comment les premières friperies de Bacongo ont inspiré l’art de bien se saper, ou encore pourquoi le mponzi continue d’unifier la table familiale.
Le projet se veut accessible : police large, anecdotes courtes, traductions en anglais pour les cousins de la diaspora. « Je ne voulais pas d’un pavé réservé aux chercheurs », précise l’autrice. Pari tenu, l’ouvrage se picore comme une story Insta.
Des voix expertes au service de la tradition
Le musicologue Samuel Malonga signe un répertoire inédit de cinquante instruments, du likembe au tam-tam royal. Selon lui, « chaque son raconte une légende », et son inventaire détaillé donne envie aux beatmakers de sampler ces timbres ancestraux.
Le journaliste Clément Ossinondé, mémoire vivante des studios de Brazzaville, retrace les épopées d’African Jazz et d’OK Jazz. Sa plume rappelle que la rumba n’est pas qu’un tempo : c’est « une diplomatie qui se danse », capable de rapprocher des quartiers entiers.
On découvre aussi l’historien Pierre Bernard, fin connaisseur des ondes. Il décrit la naissance de Radio Brazzaville, micro ouvert sur le monde dès 1950. Ces chroniques documentent le rôle des médias locaux dans la diffusion des tubes qui font vibrer les fallytologues.
Jeunesse connectée, héritage réinventé
Dans la rue Madibou ou sur Snapchat, les sapeurs version Gen Z adoptent les sneakers customisées sans renoncer au veston trois pièces. Le livre aborde cette hybridation, preuve que la tradition inspire plutôt qu’elle n’enferme.
Côté foodie, l’emblématique saka-saka se décline désormais en burger végétarien à Talangaï. Les chefs interviewés par l’autrice y voient « la meilleure manière de parler durable ». Un clin d’œil aux objectifs de sécurité alimentaire soutenus par les autorités.
Les pages consacrées au piment pili-pili mêlent chemises wax et anecdotes sur la résistance culinaire aux périodes de pénurie. Eugénie Mouayini y voit la preuve qu’« inventer un goût, c’est déjà inventer un avenir », appel lancé aux jeunes chefs.
Pour les passionnés de son, des playlists Spotify sont suggérées en fin d’ouvrage. On y passe du doyen Tabu Ley aux hits d’Innoss’B, prouvant que l’héritage congolais dialogue sans complexe avec l’afrobeats le plus tendance.
Mémoire partagée, avenir assuré
Au-delà du folklore, l’autrice insiste : connaître ces trois piliers renforce la cohésion nationale. Les lecteurs sont invités à organiser des clubs de lecture, des challenges de danse ou des ateliers cuisine pour prolonger l’expérience hors des pages.
Le livre paraît à un moment où la rumba s’exporte sur les scènes européennes et où la SAPE inspire les podiums. Il rappelle que chaque ambassadeur culturel « porte un morceau de pays dans sa valise », selon les mots de Samuel Malonga.
En refermant l’ouvrage, on réalise que la rumba, la sape et le ndolé racontent plus qu’un récit patrimonial : ils proposent un horizon partagé où traditions et innovations marchent côte à côte. Une promesse pleine d’optimisme pour les générations présentes et futures.
Le ministère de la Culture a salué l’initiative lors d’une présentation à l’Institut français de Brazzaville, soulignant l’importance « d’archives citoyennes » pour nourrir les politiques patrimoniales. Une belle reconnaissance institutionnelle pour un projet né d’une passion personnelle.
