Commémoration de KWIBOHORA : un symbole partagé
Le 4 juillet, l’enceinte feutrée d’un hôtel du centre-ville de Brazzaville a résonné d’accents rwandais. Trente et un ans après la victoire du Front patriotique rwandais, l’ambassade du Rwanda a préféré célébrer la journée de la Libération – KWIBOHORA dans la langue kinyarwanda – sur les rives du fleuve Congo. La présence du ministre congolais des Affaires étrangères, Jean Claude Gakosso, a conféré à l’événement un relief officiel : « Vos mots réaffirment la profondeur du lien entre nos deux nations », a-t-il souligné, saluant la résilience de Kigali. En choisissant Brazzaville pour évoquer le courage de la jeunesse rwandaise qui renversa la fatalité en 1994, l’ambassadeur Parfait Busabizwa a aussi tendu la main à la jeunesse congolaise, appelée à se reconnaître dans un récit de reconstruction et de détermination.
Une proximité politique assumée
« Nos relations bilatérales se sont intensifiées dans plusieurs secteurs clés, témoignant d’un partenariat fondé sur la confiance, le respect mutuel et une volonté partagée de progrès », a déclaré le diplomate rwandais devant un parterre de responsables congolais et de chefs de mission africains. Depuis la visite du président Denis Sassou Nguesso à Kigali en 2022, les échanges ministériels se sont multipliés, enclenchant une mécanique institutionnelle où les comités mixtes scrutent le moindre obstacle réglementaire. À Brazzaville, l’administration salue une diplomatie de proximité fondée sur la parole donnée et la recherche de solutions pragmatiques, loin des surenchères. Kigali, souvent vanté pour sa gouvernance agile, voit dans le Congo un partenaire doté d’une stabilité politique et d’une ouverture géographique stratégique vers l’Atlantique. Cette convergence d’intérêts nourrit l’idée d’un axe Afrique des Grands Lacs–Golfe de Guinée, susceptible de fluidifier les corridors commerciaux et de renforcer la sécurité collective.
Axes économiques en pleine expansion
Sur le volet économique, l’interconnexion aérienne directe entre Kigali et Brazzaville assure depuis deux ans un transport régulier de passagers et de fret, préfigurant un relèvement de 18 % des échanges commerciaux en 2023 selon les estimations conjointes des ministères du Commerce. Les filières concernées vont du café rwandais torréfié à la chocolaterie naissante de Makoua, en passant par les prestations numériques. « Les PME congolaises regardent la plateforme technologique de Kigali comme un tremplin vers l’e-commerce régional », confie un responsable de l’Agence congolaise pour la promotion des investissements, rappelant que le Rwanda se classe dans le trio de tête des pays africains pour la facilité de faire des affaires. Dans l’autre sens, la Compagnie nationale des hydrocarbures du Congo étudie la possibilité d’approvisionner la centrale à gaz de KivuWatt, tandis que l’Office rwandais du tourisme souhaite intégrer les circuits éco-touristiques du parc d’Odzala-Kokoua à ses packages multi-pays.
La jeunesse congolaise au cœur des attentes
À peine sortis de l’amphithéâtre, des étudiants de l’université Marien-Ngouabi discutent volontiers des bourses proposées par Kigali dans les filières de cybersécurité et d’économie verte. Pour Irène Ngamboulou, doctorante en gouvernance publique, « l’expérience rwandaise montre comment un pays peut miser sur la compétence tout en restant souverain ». Dans cette perspective, un accord cadre signé en mars prévoit la mobilité réciproque de 120 stagiaires par an, reliés aux incubateurs de start-ups Tech-Congo et kLab. Les autorités congolaises insistent cependant sur la nécessité de conserver localement les talents formés : un mécanisme d’obligation de retour est en discussion afin que la jeunesse bénéficie d’un transfert de savoir plutôt que d’un exode. La Fondation rwandaise Imbuto, invitée spéciale de la cérémonie, s’est engagée à accompagner les initiatives de mentorat en entrepreneuriat féminin.
Des défis sécuritaires à la coopération technologique
La cartographie sécuritaire de l’Afrique centrale rappelle l’impératif de vigilance. Sans évoquer directement les tensions dans l’est de la RDC, Parfait Busabizwa a souligné que « la stabilité, la paix et la prospérité de la sous-région passent par des partenariats constructifs ». Brazzaville, capitale historiquement neutre, abrite déjà un centre d’alerte précoce de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Le Rwanda propose de mettre à disposition son expertise en matière de collecte de données satellitaires pour affiner la prévention des risques climatiques et sécuritaires. Le projet de hub numérique commun, en gestation, inclut une composante cybersécurité dédiée à la protection des administrations contre les malveillances, un enjeu crucial alors que la numérisation des services publics congolais s’accélère. Selon le ministère des Postes et télécommunications, près de 65 % des procédures administratives devraient être dématérialisées d’ici 2027.
Enjeux diplomatiques à moyen terme
L’horizon 2030 sert de repère aux diplomates des deux rives pour évaluer les résultats de cette entente. Au-delà de la signature d’accords, l’ambition est de bâtir un réseau d’acteurs capables de produire des biens et des idées circulant librement entre Kigali et Brazzaville. La diplomatie sportive n’est pas en reste : la Fédération congolaise de basketball envisage un partenariat de formation avec l’Académie Hoops Rwanda, tandis que les secteurs culturels anticipent un festival itinérant rassemblant rappeurs et plasticiens des deux capitales. « Ensemble, nous avons l’opportunité de transformer nos engagements en actions concrètes, au service d’une vision collective fondée sur l’unité, l’intégration et le développement durable », précise l’ambassadeur rwandais. Cette vision rejoint la stratégie nationale de développement du Congo qui, fidèle à la feuille de route gouvernementale, entend diversifier son économie et consolider son influence diplomatique, sans renoncer à son attachement à la paix régionale.