Le Sahara, nœud gordien d’une diplomatie en mutation
Plus d’un demi-siècle après la décolonisation formelle, le Sahara occidental demeure un sujet incandescent dans les chancelleries. Entre les résolutions onusiennes, les déclarations de l’Union africaine et les initiatives bilatérales, la question transcende aujourd’hui le simple différend territorial pour devenir un révélateur des nouveaux équilibres Sud-Sud. Rabat mise depuis 2007 sur un schéma d’autonomie élargie sous souveraineté marocaine, tandis que le Front Polisario, appuyé par Alger, plaide pour un référendum d’autodétermination. À mesure que le temps passe, un nombre croissant de capitales opte pour la lecture marocaine, estimant qu’elle concilie réalisme juridique et stabilité régionale.
Le vote de San Salvador : un alignement assumé
Mercredi, dans l’hémicycle moderniste du siège du Parlacen, les vingt résolutions à l’ordre du jour ont été adoptées au pas cadencé. L’une d’elles, votée à l’unanimité, proclame le plan d’autonomie de 2007 « seule solution sérieuse, pragmatique et crédible ». Derrière la litote diplomatique, la formulation ferme vaut désaveu implicite des thèses séparatistes. Les élus centraméricains exhortent la communauté internationale à embrayer sur la voie d’une solution pacifique garantissant la souveraineté marocaine et la stabilité régionale.
L’onde de choc est double. D’abord parce que les résolutions du Parlacen, bien que non contraignantes, servent de baromètre aux engagements politiques d’une région où les alliances se redessinent entre Taïwan et Pékin, entre Washington et Caracas. Ensuite parce qu’en Amérique latine, la question saharienne a longtemps été marquée par la solidarité tiers-mondiste de la Guerre froide. Le vote salvadorien acte un aggiornamento idéologique : ce ne sont plus les slogans de Bandung qui guident les choix, mais une lecture économico-sécuritaire très contemporaine.
Une décennie de partenariat maroco-centraméricain mise en lumière
Le timing du scrutin n’est pas fortuit. Rabat célébrait simultanément le dixième anniversaire de son statut d’observateur au Parlacen, obtenu en 2014. En dix ans, le Royaume a investi le champ parlementaire latino-américain pour tisser un réseau d’alliés pouvant relayer sa diplomatie au sein des enceintes multilatérales. La présence du vice-président salvadorien Félix Ulloa et du président du Parlacen Carlos Hernández aux côtés de Mohamed Ould Errachid, président de la Chambre des conseillers marocaine, a donné à l’événement des allures de consécration.
Au-delà du symbole, l’organe régional revendique une « responsabilité politique » dans la défense de l’intégrité territoriale des États. Ce langage fait écho à la Charte de l’ONU tout en se démarquant d’une attitude de neutralité prudente encore de mise dans certaines organisations africaines. La remise à Ould Errachid d’un certificat saluant « l’unique solution » que représenterait l’autonomie a servi de mise en scène pédagogique : la diplomatie marocaine sait récompenser publiquement ses soutiens.
Laayoune, laboratoire d’un développement vitrine
En avril dernier, une délégation parlementaire centraméricaine a foulé le tarmac de Laayoune. Les élus ont signé la « Déclaration de Laayoune », soulignant la stabilité et la prospérité de la région sous l’impulsion du roi Mohammed VI. Derrière l’image de la ville ravalée, il s’agit d’exhiber un modèle socio-économique censé illustrer l’autonomie de demain : zones logistiques, infrastructures portuaires, campus universitaires et guichets d’investissement destinés aux PME.
Rabat met en avant un budget de 8 milliards de dollars pour la modernisation des provinces du Sud. Les visiteurs du Parlacen ont pu constater la mise en service du parc éolien de Tarfaya et l’essor d’un tourisme intérieur encore balbutiant mais porteur d’emplois. Le récit officiel vante une « success story » que d’autres délégations, africaines cette fois, seront invitées à constater in situ.
Effets ricochet en Afrique centrale et enjeux pour la jeunesse congolaise
Vu de Brazzaville, l’alignement centraméricain sur la vision marocaine réveille des interrogations stratégiques. Le Congo-Brazzaville, qui entretient des relations cordiales avec Rabat et Alger, observe avec prudence cette reconfiguration du soutien international. Dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères congolais, l’on rappelle que la position officielle reste attachée à « une solution politique négociée sous l’égide des Nations unies ». Toutefois, la dynamique actuelle pousse les diplomates à envisager des partenariats économiques avec un Maroc plus présent en zone CEMAC, que ce soit dans la bancarisation ou les télécoms.
Pour les jeunes Congolais, souvent à la recherche de nouvelles mobilités éducatives et professionnelles, le Sahara peut paraître lointain. Pourtant, la perception internationale du dossier influe sur les corridors commerciaux et universitaires Sud-Sud appelés à se densifier. Des programmes de bourses marocains dédiés à l’Afrique subsaharienne aux liaisons aériennes Royal Air Maroc-ECAir en discussion, la question saharienne n’est pas qu’un débat juridico-historique ; elle dessine aussi les cartes d’une intégration continentale dont la jeunesse sera l’actrice principale.
Une résolution, et après ?
Le vote du Parlacen confirme une tendance, mais ne clos pas le conflit. Au Conseil de sécurité, la médiation onusienne pilotée par l’émissaire Staffan de Mistura peine à réunir les parties autour d’une même table. Alger rejette toute option qui ne prévoierait pas un référendum, tandis que Rabat considère l’autonomie comme plafond des concessions possibles. Entre les deux, la lassitude guette une population sahraouie partagée entre les camps de Tindouf et les provinces sous administration marocaine.
Dans ce contexte, chaque soutien diplomatique revêt une importance symbolique renouvelée. L’adhésion de blocs régionaux comme le Parlacen fournit à Rabat des munitions argumentatives, mais elle oblige aussi le Royaume à délivrer des résultats tangibles en matière de gouvernance et de développement inclusif. Les regards se tournent désormais vers les capitales africaines encore indécises, dont Brazzaville, pour mesurer l’ampleur d’un éventuel effet domino.