Brazzaville et la mémoire humide de la Tsiemé
Une pluie qualifiée par les services météorologiques de « torrentielle à caractère exceptionnel » s’est abattue sur Brazzaville dans la nuit du 13 au 14 juin, réveillant les souvenirs d’inondations à répétition. Dès l’aube, l’eau limoneuse de la rivière Tsiemé se frayait un chemin jusqu’à la place Saint-François d’Assise, point le plus bas de la paroisse Saint-Augustin. Les plus âgés se souviennent que le lit originel de la Tsiemé était large et bordé d’arbustes capables d’absorber le trop-plein, mais l’urbanisation rapide, conjuguée à l’imperméabilisation des sols, a progressivement réduit la capacité d’absorption du bassin versant.
Selon le Service national de l’hydrologie, la portion de la Tsiemé qui traverse le sixième arrondissement affiche désormais, à chaque précipitation intense, un débit de pointe deux fois supérieur à celui mesuré il y a vingt ans. Cette pression hydraulique aboutit à une inondation quasi systématique des parcelles voisines, plaçant les communautés environnantes dans une logique d’adaptation permanente.
Un sanctuaire sous la crue : impacts pastoraux
La paroisse Saint-Augustin, bâtie au début des années 1990, a toujours entretenu un lien étroit avec la rivière, emblème spirituel et ressource domestique. Mais cette proximité se mue en contrainte dès que les eaux montent. « Nous célébrons l’eucharistie les pieds dans l’eau, c’est un rappel à la sobriété », sourit l’abbé Armel Mouanga devant la grotte mariale submergée. Le dimanche 15 juin, les célébrations eucharistiques ont été fragmentées ; la profession de foi de dix catéchumènes a été reportée, créant une frustration compréhensible au sein de la jeunesse paroissiale.
Les prêtres, contraints de quitter un presbytère rendu inhabitable, louent désormais une maison de quartier. Cette solution transitoire pèse sur le budget paroissial et limite certaines initiatives éducatives destinées aux 18–30 ans, telles que les ateliers de musique liturgique ou les séances de tutorat scolaire organisées chaque semaine.
Jeunesse riveraine entre risque sanitaire et engagement solidaire
Les crues récurrentes suscitent aussi une préoccupation sanitaire. L’eau stagnante favorise la prolifération des moustiques vecteurs de paludisme, tandis que le ruissellement d’ordures domestiques accentue les risques de maladies hydriques. « Les jeunes sont les premiers exposés, car ils traversent l’eau pour rejoindre les arrêts de bus et les campus », observe Dr Grâce Mayanda, épidémiologiste à la faculté des sciences de la santé.
Cette même jeunesse, cependant, se montre force de proposition. Au lendemain de l’inondation, des étudiants de l’Université Marien Ngouabi, regroupés dans le collectif Tsiemé-Actions, ont organisé une opération de nettoyage de la cour paroissiale, armés de pompes manuelles et de sacs biodégradables. Ils revendiquent une approche citoyenne : « Notre génération ne doit pas seulement subir, elle doit participer aux solutions », explique la coordinatrice, Clarisse Okoumba, 24 ans.
Cartographie des solutions : l’alliance Congo-AFD en action
Conscient de l’urgence, l’État congolais a conclu un partenariat financier avec l’Agence française de développement pour la réhabilitation du lit de la Tsiemé. Le projet, évalué à près de 19 milliards de francs CFA, comprend le recalibrage du chenal, la construction de bassins de rétention et l’aménagement de voies de service facilitant la maintenance.
« Le marché d’exécution a été attribué ; les premières pelles mécaniques sont attendues pour le quatrième trimestre », confirme Mme Marie-Chantal Banzouzi, ingénieure à la direction générale des grands travaux. Le ministère de l’Aménagement du territoire mise sur une approche graduelle afin de limiter les perturbations du tissu urbain, un choix salué par plusieurs observateurs internationaux.
Indemnisations, un exercice d’équilibre social et juridique
Toute perspective d’aménagement entraîne inévitablement des expropriations. Dans le cas de la Tsiemé, près de 120 ménages devraient céder une partie de leurs terrains. Les autorités promettent une indemnisation calculée sur la base de la valeur foncière observée en 2023, assortie d’un appui à la relocalisation pour les cas les plus vulnérables.
Le processus, supervisé par la cellule socio-environnementale du projet, avance selon un calendrier consultable en mairie de l’arrondissement. « Nous avons posé les jalons d’une concertation permanente », insiste le chef de quartier, Benoît Makosso, qui assure que la transparence reste la condition sine qua non de l’adhésion populaire. En attendant, le clergé encourage au calme et rappelle qu’un bon dialogue vaut mieux qu’une longue procédure contentieuse.
Renforcer la résilience urbaine à l’ère du changement climatique
Au-delà de l’épisode dramatique vécu par Saint-Augustin, la réflexion dépasse l’échelle paroissiale. Le Plan national d’adaptation au changement climatique, actualisé l’an dernier, fixe l’objectif de réduire de 30 % l’exposition des zones urbaines aux inondations d’ici 2030. Les experts recommandent un bouquet de mesures : reboisement des berges, généralisation des toits végétalisés, éducation à la gestion des déchets.
Pour les jeunes adultes du Congo-Brazzaville, acteurs centraux de la transition, l’enjeu est double : préserver leur cadre de vie et saisir les opportunités économiques liées aux nouveaux métiers de l’environnement. Entre hackathons d’ingénierie hydraulique et formations aux métiers du génie civil, la dynamique se met en place. Si la Tsiemé symbolise aujourd’hui un défi, elle pourrait demain devenir laboratoire d’une urbanité résiliente, portée par un dialogue constant entre autorités, bailleurs et citoyens.