Un mouvement inédit dans les prétoires congolais
Brazzaville n’avait plus connu pareil silence depuis la fermeture temporaire des tribunaux pour cause de pandémie en 2020. Le 11 juillet, à l’issue d’une assemblée générale extraordinaire, le barreau de la capitale a voté la suspension de toutes ses activités professionnelles. Dans la foulée, les avocats de Pointe-Noire ont adopté la même posture, laissant les salles d’audience privées de l’éloquence des robes noires de la façade atlantique jusqu’au fleuve Congo. Le bâtonnier de Brazzaville, Me Brigitte Nzingoula, a résumé la position de l’Ordre : « Nous avons décidé de suspendre nos activités jusqu’à nouvelle décision », rappelant qu’il existe, au cœur de la profession, une solidarité essentielle à la défense des droits fondamentaux.
Les raisons juridiques avancées par les bâtonniers
Au centre de la controverse figure Me Bob Kaben Massouka, arrêté et placé en garde à vue dans les locaux de la Centrale d’intelligence et de documentation. Aux yeux de ses pairs, la procédure d’interpellation soulèverait deux points : l’absence du bâtonnier lors de l’arrestation et la non-communication, dans l’immédiat, des motifs précis de la garde à vue. « On ne peut procéder à l’interpellation d’un avocat qu’en présence du bâtonnier ou du procureur général », rappelle Me Nzingoula, citant la loi organique qui encadre la profession. Cette disposition vise à garantir qu’aucune entrave ne vienne perturber l’exercice, souvent délicat, de la défense dans les dossiers sensibles.
Réactions des autorités et garanties procédurales évoquées
Contacté par nos soins, un responsable du ministère de la Justice, requérant l’anonymat, assure que « toutes les formalités légales seront respectées » et que l’enquête suivra son cours « dans un strict cadre de droit ». À l’Assemblée nationale, quelques élus soulignent la nécessité de préserver l’équilibre entre la liberté des avocats et la mission régalienne de sécurité. « Nous veillons à ce que nul ne soit au-dessus de la loi, mais personne ne doit non plus être privé de ses droits », confie un député de la majorité présidentielle, évoquant l’importance d’un dialogue permanent avec les Ordres professionnels afin d’éviter une escalade.
Conséquences pour les justiciables et adaptation des tribunaux
Dès le lendemain de la suspension, de longues files se sont formées devant les greffes. Certains justiciables ont vu leurs audiences renvoyées, d’autres ont sollicité, non sans confusion, l’aide juridictionnelle. Le parquet général a publié une note rappelant que les gardes à vue seraient strictement encadrées et que les dossiers urgents, notamment les comparutions immédiates relatives aux mineurs, seraient traités avec diligence par des avocats commis d’office extérieurs aux barreaux concernés. Si l’on évite ainsi un blocage total, les reports posent néanmoins la question de la célérité, déjà fragile, des procédures.
Perspectives de médiation et rôle des organisations professionnelles
Consciente de l’impact d’une paralysie durable, la Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune a proposé, depuis Paris, une mission d’écoute. Au niveau national, le Conseil consultatif de la société civile plaide pour une médiation impliquant le Conseil supérieur de la magistrature et les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Selon un éminent professeur de droit public de l’Université Marien-Ngouabi, « la suspension vise moins à contester l’autorité qu’à rappeler que l’indépendance de la défense est un pilier de l’État de droit ». De leur côté, plusieurs ONG locales notent que les canaux de concertation ouverts ces dernières années, notamment lors des États généraux de la justice, offrent un cadre propice à un règlement apaisé.
La jeunesse juridique face aux enjeux de l’État de droit
Pour les étudiants en droit, ces événements se révèlent être un cours magistral grandeur nature. Dans les amphithéâtres, on débat des nuances entre immunité fonctionnelle et privilège de procédure. « Nous découvrons que la pratique du droit exige autant de diplomatie que de technicité », confie Nadège, étudiante en master 2. Ce regard d’une génération qui s’apprête à rejoindre le barreau souligne la vitalité d’un débat qui traverse toutes les institutions : comment concilier la nécessaire protection de l’avocat avec l’impératif de sécurité publique ? Si la réponse n’est pas encore arrêtée, la suspension actuelle, par son caractère symbolique et mesuré, rappelle que le droit, au Congo-Brazzaville comme ailleurs, se nourrit d’équilibres subtils plus que de ruptures spectaculaires.