Sony Labou Tansi, plume congolaise toujours vive
Le nom de Sony Labou Tansi résonne depuis Brazzaville jusqu’aux salles feutrées de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Du 1er au 30 octobre, la cité porcelainière lui consacre une exposition originale axée sur ses dessins inédits, révélant une facette méconnue du grand dramaturge.
Quatre décennies après sa disparition, Sony Labou Tansi demeure un phare de la littérature africaine, célébré pour son verbe bouillonnant dans L’Anté-peuple ou La Parenthèse de sang. Mais peu savent qu’entre deux pages, sa plume esquissait aussi des silhouettes, des cartes de villes imaginaires et des monstres tendres.
Limoges et l’héritage congolais
Entre Limoges et l’écrivain, l’histoire est ancienne. C’est dans cette ville cosmopolite qu’il monta ses premières pièces en France, accueilli par le festival des Francophonies naissant dès 1984. Depuis, les Limougeauds gardent précieusement ses archives et un prix littéraire couronne chaque année un auteur inspiré par son style.
Pour expliquer cet attachement, la directrice de la BFM, Christelle Labardin, évoque « l’énergie fougueuse de Sony, capable de transformer une simple lecture en événement populaire ». Selon elle, exposer ses croquis revient à prolonger le dialogue entamé avec le public français depuis presque quarante ans.
Dans les coulisses des manuscrits illustrés
Les vitrines de la Galerie du Forum alignent une cinquantaine de feuillets jaunis, griffonnés au stylo-bille bleu ou noir. Entre les paragraphes serrés surgissent des formes libres : oiseaux filiformes, crânes rieurs, labyrinthes géométriques. Chaque trait prolonge une phrase, comme si l’image venait soigner un silence.
La commissaire Sonia Le Moigne-Euzenot insiste sur leur valeur de laboratoire : « Nous assistons au moment où l’écrivain cherche son rythme, où le geste hésite entre dire et montrer. Ces esquisses ne sont pas des illustrations postérieures, elles naissent en même temps que le texte. »
Des tablettes tactiles placées près des vitrines permettent d’agrandir les dessins scannés en haute définition. On distingue alors des ratures, des changements de couleur qui témoignent de l’urgence créative. Cette technologie donne aux étudiantes en art la sensation de toucher au plus près le cerveau bouillonnant de l’auteur.
Une expo immersive pour la génération Instagram
Consciente que le public de 2023 consomme l’art à travers son smartphone, la BFM a imaginé un parcours interactif. Des QR codes disséminés dans la salle déclenchent des filtres Instagram inspirés des motifs de Sony ; un masque serpent ou un cadre baroque anime les stories des visiteurs.
Une playlist Spotify, pensée par le musicologue congolais Idriss Mampouya, accompagne l’expo. Entre rumba, funk brazza et spoken word, les pistes reflètent la cadence haletante des textes. Les casques audio, colorés et légers, invitent à s’asseoir un instant pour rêver le Congo depuis les bords de Vienne.
Pour ceux qui ne pourront pas se déplacer, la BFM retransmet chaque mercredi un live TikTok, filmé au stabilisateur, où un médiateur lit un passage et commente un dessin. Les réactions s’enchaînent, des émoticônes cœur pleuvent, prouvant que la poésie traverse sans peine l’écran.
Rencontres, lectures, vernissage: le programme
Le coup d’envoi officiel sera donné le 3 octobre à 18 heures lors d’un vernissage ouvert à tous. La comédienne France Bamba interprétera un extrait éclaté de La Vie et demie, tandis qu’un groupe de slameurs de l’université de Limoges improvisera sur scène avec percussions.
Le lendemain, une table ronde rassemblera l’universitaire Florence Bayala, l’éditeur Olivier Barlet et le graphiste congolais Junior Nkounkou autour du thème « écrire avec les yeux ». Les échanges exploreront la place du dessin dans le processus créatif africain contemporain et la manière d’en faire un outil pédagogique.
En clôture, le 30 octobre, la BFM annoncera la création d’une résidence croisée Brazzaville-Limoges destinée aux jeunes scénaristes. Un appel à candidatures sera lancé depuis la scène et relayé sur Instagram, promettant à l’heureux élu trois mois d’écriture entre le fleuve Congo et la Vienne.
Un pont culturel France-Congo qui se renforce
Pour le ministère congolais de la Culture, partenaire de l’événement, cette exposition illustre « la vitalité des échanges francophones et la reconnaissance durable de nos auteurs ». Le conseiller Christian Oba, de passage à Limoges, se dit frappé par « la curiosité chaleureuse du public français pour notre patrimoine ».
Côté municipalité, l’adjointe à la culture Laurence Massard souligne que « la diaspora congolaise apporte à Limoges un souffle créatif ». Elle espère que ce rendez-vous encouragera d’autres villes à valoriser les écrivains du continent, rappelant qu’« une bibliothèque doit refléter toutes les voix de la francophonie ».
Les organisateurs envisagent déjà de faire voyager l’exposition vers Pointe-Noire, Dakar puis Montréal en 2024. Chaque escale enrichirait le corpus par des œuvres prêtées par les familles d’artistes africains, créant une constellation d’imaginaires et rappelant que la francophonie est d’abord un espace de partage.
Avec ses feuillets tachés d’encre et ses filtres AR flamboyants, l’exposition confirme que Sony Labou Tansi traverse les époques sans perdre son mordant. Entre Brazzaville et Limoges, un fil rouge se tisse, invitant la jeunesse à écrire, dessiner, performer, bref, à inventer d’autres mondes possibles.