Fespam 2024 : un tempo fédérateur
Vingt-sept ans après sa création, le Festival panafricain de musique (Fespam) entonne de nouveau ses premières mesures à Brazzaville, du 19 au 26 juillet. Tambours, cuivres et voix s’y conjuguent pour rappeler que la capitale congolaise demeure un carrefour culturel où se rencontrent traditions enracinées et innovations sonores. Dès la cérémonie d’ouverture, l’esplanade du Palais des congrès s’est muée en scène à ciel ouvert où artistes confirmés et jeunes talents ont partagé, sans distinction de genre ni de nationalité, un même souffle créatif. Officiels, mélomanes et curieux ont ainsi redécouvert le pouvoir fédérateur de la musique, à la fois vecteur de mémoire et miroir des aspirations contemporaines.
L’Unesco et sa priorité Afrique en action
La présence à Brazzaville de Fatoumata Barry Marega, représentante résidentielle de l’Unesco, illustre la place stratégique que l’institution accorde au Fespam dans son agenda Priorité Afrique. Âgé d’à peine trente ans, le festival offre en effet un laboratoire grandeur nature aux politiques culturelles que l’organisation onusienne encourage : mobilité des artistes, sauvegarde du patrimoine vivant et réalisation des Objectifs de développement durable par les arts.
Intervenant par visioconférence depuis Paris, la directrice générale Audrey Azoulay a salué « l’engagement constant des autorités congolaises à magnifier les expressions musicales du continent ». Son hommage appuyé au regretté Amadou Bagayoko, moitié du duo malien Amadou & Mariam, a rappelé que le Fespam se veut autant une vitrine de la création qu’un lieu de mémoire. Sur la scène, les musiciens ont ainsi observé une brève minute de guitare muette avant de reprendre, comme pour signifier que l’élan artistique, même endeuillé, demeure irrépressible.
La rumba congolaise, étendard immatériel
Inscrite en 2021 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la rumba congolaise fait figure de tête d’affiche permanente du Fespam. Cette reconnaissance internationale doit beaucoup au plaidoyer de Firmin Édouard Matoko, alors sous-directeur général de l’Unesco chargé de la Priorité Afrique. Sa présence à Brazzaville, cette année encore, témoigne d’une continuité institutionnelle : après la distinction honorifique, vient le temps de la valorisation économique et pédagogique.
Dans les artères de Poto-Poto comme sur les berges du fleuve, de jeunes orchestres répètent inlassablement des riffs de guitare hérités des pionniers Franco ou Wendo. Pour eux, la rumba n’est pas qu’une relique patrimoniale ; elle est un langage identitaire capable d’attirer des investisseurs, de susciter des emplois et de renverser, par la créativité, certains stéréotypes sur la jeunesse africaine. Le Fespam, en réunissant chercheurs, producteurs et responsables publics, sert de plateforme à cette ambition de transformation sociale portée par la musique.
Jeunesse et industries créatives : une synergie d’avenir
Selon les dernières estimations de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, les industries culturelles génèrent déjà plus de 3 % du produit intérieur brut mondial. Au Congo, où plus de 60 % de la population a moins de trente-cinq ans, la marge de progression est considérable. La tenue parallèle d’ateliers sur l’entrepreneuriat musical, la propriété intellectuelle et l’usage des plateformes numériques au Fespam traduit cette volonté d’inscrire la création artistique dans les chaînes de valeur contemporaines.
Le ministère de l’Industrie culturelle, du Tourisme et des Loisirs multiplie les partenariats avec des incubateurs locaux pour soutenir des start-up spécialisées dans le streaming ou la billetterie dématérialisée. Dans une allocution remarquée, la ministre a rappelé que « chaque talent congolais qui émerge ouvre la voie à dix autres emplois indirects ». Pour sa part, l’Unesco encourage la mise en réseau des conservatoires, des studios et des médias afin de consolider un écosystème où l’artiste ne soit plus cantonné au statut de « griot moderne », mais reconnu comme un entrepreneur à part entière.
À l’heure où la scène congolaise résonne des basses de l’afrobeats autant que des mélodies rumba, le Fespam confirme sa valeur de laboratoire. Sur les pavés chauffés par le soleil de juillet, les jeunes de Brazzaville croisent des musiciens venus de Kigali, de Lagos ou de Praia. Au-delà des concerts, ils échangent codes sources, contacts et stratégies pour conquérir un public globalisé. Ce maillage informel, que l’Unesco ambitionne de structurer, pourrait bien transformer la vibration de quelques jours de festival en véritable moteur de développement durable pour le Congo et, plus largement, pour le continent.
