Une journée de mémoire au cœur de l’actualité des droits humains
Chaque 26 juin, la communauté internationale commémore l’entrée en vigueur, en 1987, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. À Brazzaville, la date a résonné comme un rappel solennel de l’impératif universel de protéger la dignité humaine. Réunis dans la salle sobre mais animée du Centre d’actions pour le développement (CAD), des survivants, des étudiants et des professionnels se sont succédé au pupitre pour témoigner, débattre et esquisser des solutions permettant de réduire, à terme, le recours à toute forme de violence illégale.
Si le rituel est mondial, son ancrage local prend ici une dimension singulière : la société civile congolaise s’emploie, depuis plusieurs années, à documenter les écarts entre la norme et la pratique, tout en privilégiant un dialogue constructif avec les institutions. Le thème retenu, « Ne laissons jamais s’éteindre la parole des survivants », invite à transformer la souffrance en levier de prévention, de réforme et d’éducation civique.
La dynamique associative, miroir d’une jeunesse en quête de justice
Dans un quartier Moungali réputé pour son effervescence culturelle, le CAD a compilé près de quarante signalements présumés de mauvais traitements depuis janvier. « Ce chiffre n’épuise pas la réalité, mais il en trace les contours », a précisé Trésor Nzila Kendet, directeur exécutif, devant un auditoire attentif composé majoritairement de jeunes entre vingt et trente-cinq ans. À ses côtés, Roberto Lissassi, étudiant en licence de droit, a livré un témoignage qui a suscité un silence dense avant d’arracher des applaudissements de soutien. Son récit, qui évoque une perte partielle de la vue à la suite d’une garde à vue houleuse, illustre le poids psychologique et social de la torture au-delà même des séquelles physiques.
L’implication croissante des étudiants, soutenue par des enseignants de l’Université Marien Ngouabi, confère à la mobilisation une coloration académique inédite. Des cliniques juridiques universitaires se proposent désormais d’accompagner gratuitement les plaignants, tandis que des collectifs d’étudiants en journalisme forment des binômes avec des juristes pour mieux documenter les cas. Cette synergie contribue à éclairer l’opinion publique, tout en favorisant une approche factuelle, débarrassée de toute dramatisation.
Cadre légal et engagement institutionnel : des jalons à conforter
Le Congo a ratifié la Convention contre la torture et inscrit, dans sa Constitution, l’interdiction formelle de toute atteinte à l’intégrité physique. De l’avis des praticiens, la base normative est solide : dispositions du Code pénal révisé, création d’une Commission nationale des droits de l’homme dotée de prérogatives d’investigation, et instauration de visites inopinées de lieux de détention. Le ministère de la Justice fait valoir, dans son dernier rapport, l’organisation de sessions de formation à l’intention des officiers de police judiciaire et des personnels pénitentiaires.
La persistance d’allégations, cependant, interroge sur l’effectivité de ces outils. Entre surcharge des tribunaux, lenteur des procédures et méconnaissance de certains droits par justiciables et agents, les obstacles demeurent multiformes. « Le cadre législatif est une condition nécessaire mais non suffisante », résume un magistrat ayant requis l’anonymat, rappelant que la sensibilisation de la base et le suivi budgétaire sont tout aussi déterminants pour éviter les dérapages.
De l’indignation à l’action : leviers portés par la génération connectée
À l’heure où l’usage des réseaux sociaux façonne la circulation de l’information, de jeunes blogueurs congolais expérimentent des formats narratifs courts – podcasts, micro-documentaires, infographies – afin de vulgariser les garanties offertes par la loi et de décourager la banalisation de la violence. Cette stratégie s’inscrit dans une logique de prévention, misant sur la transparence pour renforcer la confiance entre populations, forces de l’ordre et justice.
Parallèlement, des start-up locales conçoivent des applications de signalement confidentiel, permettant aux victimes ou témoins de mauvais traitements de transmettre preuves visuelles et géolocalisation en temps réel. Soutenues par des organismes internationaux, ces initiatives technologiques mettent en exergue l’esprit d’innovation dont la jeunesse congolaise fait preuve pour participer activement au renforcement de l’État de droit.
Vers une culture de dignité partagée et durable
Les suites de la Journée du 26 juin ne se résument pas à un exercice cérémoniel. Les recommandations formulées – célérité des procédures, renforcement du budget alloué à l’aide juridictionnelle, multiplication des campagnes de sensibilisation – visent à consolider les acquis déjà enregistrés. Dans son message, le porte-parole du CAD a salué « l’ouverture au dialogue manifestée par plusieurs responsables publics », y voyant le signe d’une volonté commune de faire primer la dignité sur tout autre impératif.
La construction d’une société où nul ne vivrait dans la crainte de traitements dégradants passe par un engagement collectif continu. En mobilisant simultanément les textes, la pédagogie de proximité et l’innovation numérique, la jeunesse congolaise s’affirme comme un acteur incontournable du changement. S’il reste des progrès à accomplir, la persévérance conjuguée des institutions et de la société civile nourrit l’espoir qu’un jour, le terme même de torture appartienne définitivement au vocabulaire du passé.