Le débat africain sur les subventions énergétiques
Supprimer ou maintenir les aides publiques sur le carburant ? La question, relancée par le Fonds monétaire international, traverse l’Afrique subsaharienne depuis un an. Les jeunes Congolais suivent ce dossier avec attention, conscients que le prix du litre d’essence façonne directement leurs trajets, leurs repas et leurs projets.
Le Nigeria a ouvert la voie en mai 2023, mettant fin d’un coup au soutien budgétaire. Le choc fut brutal : inflation record, transports désorganisés, manifestations massives. Cet épisode sert désormais d’argument aux détracteurs d’une mesure que le FMI juge pourtant incontournable pour assainir les finances publiques.
La trajectoire prudente du Congo-Brazzaville
À Brazzaville, le gouvernement a privilégié une hausse étalée. En janvier 2024, puis en octobre, le prix du gazole a progressé d’environ 25 %. L’exécutif présente cette évolution comme un ajustement technique, nécessaire pour préserver l’équilibre budgétaire tout en veillant à ne pas étouffer le pouvoir d’achat.
Des mesures d’accompagnement ont été évoquées : renforcement du transport urbain, extension de la couverture maladie universelle et subventions ciblées aux coopératives agricoles. « Nous voulons protéger les couches vulnérables tout en modernisant le secteur », a résumé le ministre délégué aux Finances.
Gabon et Sénégal face au dilemme budgétaire
Libreville prévoit de raboter ses subventions de 30 % dans la loi de finances 2025. Dakar, où ces aides représentent près de 4 % du budget, est encouragé par le FMI à emboîter le pas. Les deux capitales s’interrogent sur le dosage, conscientes des tensions sociales potentielles.
Au Gabon, les syndicats de transport ont déjà prévenu qu’une hausse excessive du carburant renchérirait le fret et, in fine, les denrées importées. Au Sénégal, la nécessité de préserver la paix sociale, à la veille d’échéances électorales, pousse l’exécutif à temporiser toute décision abrupte.
Le raisonnement du FMI et ses limites
Pour l’institution de Washington, ces subventions bénéficient surtout aux ménages les plus aisés disposant de véhicules. Les économistes du Fonds soutiennent qu’une réorientation vers des transferts monétaires ciblés serait plus équitable et moins coûteuse, tout en favorisant l’allocation efficace des ressources publiques.
Un point fondamental demeure : les filets sociaux numériques évoqués par le FMI nécessitent des bases de données fiables et des réseaux bancaires solides. Or, beaucoup de pays d’Afrique centrale avancent encore vers l’inclusion financière, ce qui rend la transition plus complexe qu’à Washington ou Paris.
« Démanteler trop vite un mécanisme visible, même imparfait, pour le remplacer par un dispositif invisible, c’est prendre un risque politique majeur », analyse Stéphane Goma, chercheur à l’Université Marien Ngouabi. Il rappelle que la confiance institutionnelle se renforce davantage par l’amélioration concrète des services que par la théorie économique.
Inflation : l’impôt des jeunes actifs
Dans les rues de Talangaï ou de Bacongo, un ticket de bus plus cher grignote vite le budget mensuel. Selon l’Observatoire congolais de la vie chère, chaque hausse de 10 % du carburant se traduit par 3 % d’inflation supplémentaire sur le panier moyen des 20-35 ans.
Les jeunes entrepreneurs interrogés sur l’avenue de la Montagne disent ajuster leurs tarifs de livraison presque chaque trimestre. « Nous retrouvons nos marges en augmentant les frais, mais nos clients ressentent immédiatement la différence », témoigne Mariette Moundélé, fondatrice d’un service de repas bios livrés à domicile.
Sans subventions, les compagnies de transport interurbain répercuteraient la moindre variation du diesel sur leurs tickets. Or, beaucoup d’étudiants voyagent chaque fin de semaine entre Brazzaville et Pointe-Noire pour maintenir des liens familiaux. Le coût d’un billet devient alors un filtre social peu compatible avec la mobilité professionnelle.
Des réformes ciblées plutôt qu’un sevrage brutal
Plusieurs économistes locaux préconisent une modernisation rapide des raffineries et dépôts afin de réduire les pertes techniques. Chaque litre sauvé constitue une subvention implicite qui ne figure pas dans le budget, mais allège la facture à la pompe pour l’usager final sans procédure administrative lourde.
Le gouvernement congolais étudie par ailleurs la mise en place de pass énergétiques numériques destinés aux ménages modestes. Ce dispositif, testé dans certains quartiers pilotes, s’appuie sur la téléphonie mobile pour créditer des kilowattheures ou des litres équivalents, évitant les files d’attente et les détournements.
Une opinion largement partagée à Brazzaville est que l’effort de rationalisation doit commencer par l’État lui-même : parkings administratifs, groupes électrogènes publics et flottes d’officiels. Réduire ces consommations serait un signal fort, capable de rendre socialement acceptable un mouvement graduel des prix vers leur niveau de marché.
Vers un compromis durable
Pour l’heure, la majorité des analystes appelle à un calendrier progressif, négocié avec la société civile. Combiner économies budgétaires, filets de sécurité et investissements productifs pourrait offrir l’équilibre attendu par le FMI sans reproduire les convulsions constatées à Lagos il y a un an.
À l’image d’un bateau sur le fleuve Congo, chaque gouvernail compte. Les choix énergétiques d’aujourd’hui détermineront le coût des transports, la compétitivité des start-ups et la stabilité sociale de demain. Reste à trouver la bonne vitesse, celle qui ménage les finances publiques et la vie quotidienne.