Journée mondiale: briser le silence au Congo
À Brazzaville, le 9 septembre 2025, la salle de presse du ministère de la Santé ne désemplit pas. À la veille de la Journée mondiale de prévention du suicide, le Dr Paul Gandou, directeur du Programme national de santé mentale, invite journalistes et influenceurs à porter un nouveau regard.
Des chiffres alarmants mais évitables
Le suicide coûte chaque année près de 720 000 vies dans le monde, soit une mort toutes les quarante secondes. Au Congo, le PNSM estime qu’environ sept personnes sur cent décèdent par ce geste, un taux supérieur à la moyenne africaine mais encore mal documenté.
Facteurs de risque identifiés par le PNSM
Selon le Dr Gandou, plusieurs vulnérabilités se conjuguent : pauvreté persistante, chômage des jeunes diplômés, conséquences psychologiques des inondations récurrentes, conflits familiaux, stigmatisation des troubles mentaux, addictions, mais aussi isolement social accentué par l’exode rural et l’usage mal régulé des réseaux sociaux.
Trois structures publiques et un réseau privé
Pour répondre à l’urgence, trois hôpitaux publics disposent d’unités psychiatriques à Brazzaville, Pointe-Noire et Owando. À celles-ci s’ajoutent plusieurs cabinets privés et services de consultation dans les facultés. L’offre reste modeste pour cinq millions d’habitants, reconnaît le ministère, mais représente une base solide d’intervention.
L’école comme première ligne de défense
Cette année, le PNSM mise sur les établissements scolaires. Des psychologues itinérants interviendront dans cinquante lycées pour former les enseignants au repérage des idées noires, créer des clubs de discussion et installer des boîtes à message anonymes afin que la voix des adolescents circule sans crainte.
La parole du Dr Paul Gandou
« Le suicide n’est pas une fatalité, c’est une tragédie évitable », martèle le médecin. À ses yeux, ouvrir un espace d’écoute suffit parfois à suspendre le geste. « Parler, c’est offrir du temps, et le temps redonne des options », résume-t-il, rappelant le thème international : changer le discours.
Une mobilisation collective indispensable
Le ministère appelle à un sursaut collectif. Familles, chefs de quartier, parlementaires, pasteurs, ONG et influenceurs sont sollicités pour relayer des messages bienveillants, repérer les signaux d’alerte et orienter les personnes vulnérables vers les soins. L’enjeu, insiste Brazzaville, dépasse la santé : il touche à la cohésion nationale.
Jeunes Congolais en première ligne
Sur Instagram, la créatrice de contenus Yoli-Makita partage déjà ses carnets de pleine conscience. « Je reçois chaque semaine des DM de jeunes qui envisagent le pire », confie-t-elle. Son compte, suivi par 120 000 abonnés, diffuse des exercices de respiration et un annuaire des psychologues partenaires.
Médias et réseaux sociaux, catalyseurs d’espoir
Les médias traditionnels ne sont pas en reste. Radio Mucodec diffuse chaque matin la capsule « Une minute pour l’espoir » où des survivants témoignent. Les animateurs proscrivent les détails des méthodes, privilégient les ressources d’aide et encouragent les auditeurs à composer le 343, ligne d’écoute associative.
Reconnaître les signes d’alerte
Identifier un mal-être commence souvent par des signes discrets : repli brutal, messages d’adieu, consommation excessive d’alcool ou publications ambiguës sur les réseaux. Les experts recommandent d’aborder le sujet sans jugement, de poser des questions directes et de proposer une aide concrète plutôt qu’un discours moralisateur.
Conseils simples pour soutenir un proche
Un proche en détresse peut être rassuré par des gestes simples : écouter sans interrompre, rester disponible, supprimer les moyens létaux immédiats comme les pesticides ou les cordes, accompagner vers une consultation. « Vous n’avez pas à tout résoudre, votre présence vaut déjà énormément », rappelle le psychologue Armand Kéba.
Des exemples de résilience à partager
Plusieurs rescapés décident aujourd’hui de raconter leur renaissance. Christelle, étudiante à l’université Marien-Ngouabi, explique avoir trouvé du réconfort dans le slam et la marche rapide. « Dire ma douleur sur scène m’a reconnectée aux autres », témoigne-t-elle. Son histoire circule désormais en vidéo sur TikTok et WhatsApp.
Objectif 2030: réduire les morts volontaires
Le Congo s’est fixé une cible ambitieuse : réduire d’un tiers la mortalité par suicide d’ici 2030, en phase avec l’Objectif de développement durable numéro trois. Les indicateurs seront intégrés au nouveau Plan national de santé publique pour mesurer l’évolution tous les deux ans.
Soutien gouvernemental et partenaires internationaux
La coopération internationale soutient l’effort national. L’Organisation mondiale de la santé fournit des modules de formation, l’UNICEF finance une ligne d’écoute pour les jeunes, tandis que des entreprises locales proposent des ateliers de gestion du stress pour leurs employés. Cette alliance multisectorielle renforce la durabilité des actions.
Un numéro d’aide en projet national
Un projet de numéro vert gratuit, disponible 24 h/24, est en phase de test. Les autorités espèrent un lancement national avant décembre. Les appels seront répartis entre psychologues, travailleurs sociaux et volontaires formés. L’outil pourrait également fonctionner par SMS pour toucher les zones à faible couverture internet.
Changer le discours, sauver des vies
À l’aube de la Journée mondiale, le message résonne : changer le discours, c’est changer la destinée. En plaçant la compassion au centre, le Congo prouve qu’il est possible d’allier volonté politique, sciences sociales et mobilisation citoyenne pour transformer une statistique sombre en histoires de vie.
Prochaines étapes concrètes
Après la conférence, le PNSM publiera un guide pratique disponible en ligne et dans les maisons de quartier. Le fascicule expliquera comment orienter un voisin, quelles phrases éviter, où trouver de l’aide financière pour les médicaments antidépresseurs. Des versions audio seront bientôt diffusées gratuitement sur les radios communautaires.