Un ouvrage modeste, un enjeu capital pour la mobilité locale
Dans le sixième arrondissement de Brazzaville, la passerelle reliant l’avenue de l’Intendance à Marien-Ngouabi n’a jamais brillé par une architecture spectaculaire. Pourtant, ce ruban métallique perché au-dessus de la rivière Tsiémé constitue l’un des maillons essentiels du réseau de circulation piétonne et commerçante de Talangaï. Chaque matin, plusieurs milliers de riverains, d’écoliers et de petits marchands l’empruntent pour gagner quelques précieuses minutes dans un quartier où l’étroitesse des voiries exige des trajets optimisés.
Des bénévoles face à l’épreuve du réel
À mesure que les poutres s’oxydent, un collectif d’une vingtaine de jeunes, pour la plupart en recherche d’emploi stable, a pris l’habitude de se retrouver les week-ends autour du pont, pinceaux dégoulinants de peinture antirouille héritée de chantiers voisins. « C’est notre manière de protéger la communauté en attendant la solution structurelle », confie Rodrigue, 27 ans, diplômé en génie civil. Avec des planches de récupération et des barres d’armature achetées au prix du kilogramme, ces volontaires réalisent des étaiements sommaires, tout en veillant à ne jamais altérer la portance de l’ouvrage.
S’ils ne se substituent évidemment pas aux ingénieurs, leur engagement suscite l’admiration des aînés. Mère de trois enfants, Mme Kimpaou, commerçante de denrées, note que « la simple présence de ces jeunes rassure les passants et rappelle l’importance, pour chacun, de prendre soin des équipements publics ».
L’État et les partenaires techniques mobilisés
Conscient de l’état critique de certains ouvrages hérités des années 1980, le ministère de l’Équipement, des Travaux publics et de l’Entretien routier a lancé en 2023 un programme de diagnostic national assisté par le Bureau central d’ingénierie des ponts et chaussées. Interrogé, le directeur de cabinet dudit ministère assure que « Talangaï figure parmi les priorités, car ce pont dessert une zone densément peuplée et constitue une route de délestage stratégique en cas d’embouteillage d’Avenue des Trois-Martyrs ».
Un appel d’offres restreint a été publié en avril dernier en vue d’une réhabilitation lourde : renforcement de la charpente, remplacement du tablier, rehaussement des garde-corps et pose d’un éclairage solaire afin de garantir la sécurité nocturne. Les premières études topographiques, réalisées avec le concours de l’Agence japonaise de coopération internationale, prévoient une mise en chantier dès la saison sèche prochaine, sous réserve de conditions hydrologiques favorables.
Un diagnostic technique implacable mais soluble
Les rapports préliminaires évoquent une corrosion avancée sur quarante-six pour cent des éléments porteurs et une perte d’épaisseur estimée à neuf millimètres sur certaines poutrelles. Malgré ces chiffres, les ingénieurs restent optimistes : « Le linéaire à traiter demeure restreint et la cinématique de chargement reste exclusivement piétonnière. On peut donc éviter une démolition complète », estime le professeur Luc-Michaël Matsoua, enseignant à l’École nationale supérieure polytechnique de Pointe-Noire.
Le projet retenu combine un sablage à haute pression, l’injection de résine époxydique dans les microfissures et le remplacement de plaques d’usure par un plancher en matériau composite plus léger de trente pour cent que l’acier initial, limitant ainsi les efforts sur les appuis.
Talangaï comme laboratoire d’une ingénierie urbaine participative
Au-delà de la technicité, le chantier promet de devenir un cas d’école en matière de gouvernance locale. Une convention tripartite est envisagée entre la mairie d’arrondissement, les services déconcentrés du ministère et les collectifs de jeunes. Objectif : formaliser la participation citoyenne par des sessions de formation, afin que les bénévoles acquièrent des compétences certifiées dans la peinture anticorrosion ou la mesure ultrasonique d’épaisseur. La Banque mondiale, déjà impliquée dans la réhabilitation du pont du Niari, a salué cette approche « inclusive et valorisante pour la jeunesse ».
Par ricochet, la municipalité espère stimuler l’auto-emploi. « Nous voulons que certaines de ces compétences s’exportent vers d’autres chantiers urbains, qu’elles deviennent des micro-entreprises », explique le maire de Talangaï, convaincu que la maintenance urbaine peut devenir un gisement d’opportunités économiques pour les vingt-trente ans.
Vers une culture de maintenance préventive durable
Au Congo comme ailleurs, la durabilité des ponts reste tributaire d’une maintenance périodique souvent sacrifiée lorsque les budgets se contractent. L’expérience de Talangaï rappelle qu’un carnet d’entretien numérisé, couplé à des inspections semestrielles, coûterait in fine moins cher qu’une reconstruction. Les autorités l’ont intégré dans la dernière feuille de route de l’Agence congolaise des grands travaux, laquelle préconise la création d’un fonds de pérennisation alimenté par une fraction des droits de péage autoroutier.
En attendant l’inauguration du chantier, la passerelle est désormais équipée de capteurs d’alerte précoce fournis par une start-up locale : ils transmettent en temps réel la température du métal et les variations d’angle des poutres vers un poste de contrôle installé dans le centre social voisin. Cette innovation low-cost, saluée lors du Forum national du numérique, donne un avant-goût de la maintenance prédictive appelée à se généraliser.
Talangaï rappelle enfin qu’un pont n’est jamais qu’un trait d’union. Sa fragilité actuelle n’est pas seulement physique ; elle raconte aussi le lien qui, chaque jour, s’invente entre volontarisme citoyen et planification publique. Si la solidarité spontanée des jeunes a empêché le pire, c’est la convergence avec les institutions qui assurera, à terme, une traversée sereine pour les générations futures.