Des tam-tams porteurs d’une mémoire partagée
Dans la salle feutrée du ministère de l’Industrie culturelle, trois tam-tams vénézuéliens luisent sous la lumière. Offerts à Brazzaville par l’ambassadrice Laura Suarez Evangelia, ils incarnent le dernier relais symbolique du Fespam, clôturé le 26 juillet.
Le présent rassemble une petite famille de percussions appelée au Venezuela “cumaco”. Héritée des Africains déportés jusqu’aux côtes caraïbes, elle rappelle que la même histoire bat dans les deux rives de l’Atlantique, au rythme d’une peau tendue et d’un bois soigneusement sculpté.
Pour la ministre Marie-France Hélène Lydie Pongault, le geste illustre “un pont vivant entre nos jeunesses créatives”, ajoutant que chaque vibration “racontera le Congo, le Venezuela et surtout l’espoir africain”.
Un geste de diplomatie culturelle Sud-Sud
Diplomate de carrière, Mme Suarez revendique une coopération sans intermédiaire. “Nos pays partagent les mêmes racines noires, le même désir de souveraineté”, rappelle-t-elle, soulignant que les tambours ont traversé l’océan comme un manifeste sonore contre l’oubli.
La remise, discrète mais chargée d’émotion, s’inscrit dans le partenariat Sud-Sud promu par Brazzaville depuis la dernière décennie. Elle complète l’accord de formation artistique signé avec Caracas en 2021, qui a déjà permis à vingt percussionnistes congolais de séjourner outre-mer.
“Chaque fois qu’un Congolais frappe un cumaco, il revendique son appartenance à une planète créole”, assure l’ethnomusicologue Lisette Ngami, invitée par le ministère pour documenter l’événement. Ses recherches montrent la circulation du même motif rythmique entre Pointe-Noire, le delta de l’Orénoque et la Guadeloupe.
L’écho du Fespam dans la créativité congolaise
Le Fespam 2023 a hissé Brazzaville au rang de capitale africaine de la percussion. Durant huit jours, le groupe vénézuélien Madera a partagé la scène avec Tam-tam sans frontière et le Village d’enfants Cardinal Emile Biayenda, déclenchant des ovations au stade Alphonse Massamba-Débat.
À l’issue du festival, les artistes caribéens ont décidé de laisser leurs instruments sur le sol congolais. Le geste spontané a surpris les techniciens du Fespam, qui s’attendaient plutôt à un transport coûteux vers Caracas. Il confirme la volonté d’enraciner l’expérience au-delà de l’événement.
Dans les quartiers populaires de Poto-Poto et de Moungali, de jeunes batteurs ont déjà réalisé des vidéos virales reprenant les rythmes mélangeant makossa, salsa et rumba. Les vues sur TikTok dépassent cinquante mille impressions, prouvant que la fusion trouve un public curieux et fidèle.
Opportunités pour les jeunes artistes et l’industrie locale
Le ministère parle désormais d’un “incubateur de percussions” adossé à l’Institut national des arts et de la culture. L’idée est de proposer des masterclass, des résidences et un label numérique permettant de monétiser les enregistrements produits avec les cumacos et les tam-tams kongolais.
Selon l’économiste culturel Hervé Opimbat, chaque année le marché africain de la musique connaît une croissance de huit pour cent. “Une seule collaboration virale peut changer le destin d’un beatmaker de Talangaï”, conclut-il, estimant que le projet pourrait créer cent emplois directs en deux ans.
Des partenariats sont également évoqués avec la plateforme congolaise Baziks et le service vénézuélien MúsikApp pour la distribution de titres hybrides. Les négociations portent sur les droits voisins, un enjeu crucial pour garantir des revenus durables aux artistes locaux longtemps cantonnés aux prestations live.
Le Conservatoire Pierre Akendengué de Brazzaville projette également de créer un module “polyrythmies transatlantiques”. Les élèves y compareront le ndombolo, le bèlè martiniquais et les appels de tam-tam garifuna, un dialogue savant susceptible d’enrichir les compositions urbaines congolaises.
Dans un pays où soixante pour cent de la population a moins de trente-cinq ans, la perspective d’un nouveau segment musical est saluée par les start-ups culturelles. “Le streaming n’a pas de visa, il suffit d’une connexion”, rappelle la productrice Yvelise Mabiala, confiante dans l’appétit des fans.
Battements d’avenir pour la coopération Congo–Venezuela
Au-delà des projecteurs, les tam-tams offerts seront exposés tour à tour dans douze villes, de Dolisie à Impfondo, avant de trouver place au futur musée national de la musique annoncé par le gouvernement pour 2025. Un calendrier itinérant est finalisé avec les mairies.
Le ministère des Affaires étrangères évoque déjà un jumelage entre Brazzaville et la ville portuaire de La Guaira, d’où sont partis jadis des esclaves devenus porteurs de tambours. Des concerts simultanés via streaming devraient symboliser ce retour circulaire de la mémoire collective.
L’office national du tourisme table sur un circuit baptisé “Route du tambour”, reliant sites historiques et ateliers de lutherie. Selon ses prévisions, cinq mille visiteurs pourraient rallonger leur séjour pendant le Fespam 2025, générant un chiffre d’affaires estimé à 1,2 milliard de francs CFA.
Pour l’ambassadrice Suarez, “la musique n’a pas de frontière, mais elle a une histoire que nos gouvernements choisissent de partager”. Une perspective saluée par les responsables du Fespam, qui pensent déjà à une scène Amazonie-Congo pour la prochaine édition.
Ainsi, trois tam-tams posés à Brazzaville résonnent déjà comme une promesse de liens durables, d’emplois créatifs et de battements communs. Le public jeune y voit un rappel enthousiaste : nos racines se partagent mieux dans la fête que dans les manuels d’histoire.
