Une décision réglementaire qui redessine le transport urbain
Adopté le 9 juillet 2024, le décret 2024-324 réserve l’activité de conducteur de taxi-motos et motocyclettes au seul ressort des citoyens congolais. Sa publication s’inscrit dans un contexte de croissance exponentielle du deux-roues motorisé, devenu en moins d’une décennie l’un des piliers de la mobilité urbaine à Brazzaville, Pointe-Noire et dans plusieurs centres secondaires. En promulguant ce texte, les pouvoirs publics entendent créer un cadre juridique plus lisible, favorisant l’essor d’un maillon essentiel du transport public tout en circonscrivant les dérives constatées sur le terrain.
Sécurité publique et cohésion nationale au cœur de l’argumentaire
Les autorités rappellent que la sécurisation des passagers figure au premier rang de leurs préoccupations. Plusieurs rapports de police évoquent une recrudescence de braquages nocturnes et de vols de motocyclettes attribués, dans certains dossiers, à des conducteurs non enregistrés et, pour partie, étrangers. « Il s’agissait de couper court à une zone grise où prospéraient des réseaux criminels », confie un officier supérieur de la gendarmerie sous couvert d’anonymat. Le décret, en limitant l’accès à la profession, ambitionne de faciliter le contrôle administratif, de renforcer le traçage des conducteurs et, in fine, de consolider la confiance des usagers dans ce mode de déplacement express.
Un souffle nouveau pour l’emploi des jeunes diplômés
Sur le plan socio-économique, la mesure est saluée par la Fédération syndicale des professionnels des transports du Congo, porte-voix d’un secteur qui emploie plusieurs milliers de jeunes souvent faiblement qualifiés. Selon les derniers relevés internes de la FESYPTC, sur 5 023 conducteurs répertoriés, 1 235 seraient de nationalité étrangère. Le syndicat estime que la vacance créée par leur retrait pourrait absorber une partie de la main-d’œuvre locale en quête d’activité génératrice de revenus. « Nous voyons dans ce décret un levier d’insertion professionnelle et d’autonomisation financière pour notre jeunesse », argumente Gilles Ondélé, secrétaire général chargé du transport au sein de la fédération.
Témoignages croisés : aspirations nationales, inquiétudes transfrontalières
Chrismain Embengou, conducteur congolais, se réjouit d’un texte qu’il considère comme un rempart contre une concurrence jugée déloyale : « Cette activité nourrit nos familles. Qu’il revienne aux nationaux de la gérer relève du simple bon sens ». De l’autre côté de la table, Nagifi Saolona, ressortissant de la République démocratique du Congo, installé depuis huit ans à Brazzaville, confie son désarroi : « Ma femme est congolaise, mes trois enfants sont nés ici. Cette interdiction me prive de l’unique métier qui garantissait leurs frais de scolarité ». Ces récits illustrent les tensions latentes entre souveraineté économique et solidarité régionale dans une zone CEEAC où la libre circulation des personnes demeure un objectif politique, mais pas toujours une réalité opérationnelle.
Professionnalisation et fiscalité : les chantiers qui s’ouvrent
Au-delà de l’enjeu identitaire, plusieurs économistes voient dans la réforme un appel à la formalisation d’une activité encore largement informelle. Selon une note interne du ministère des Transports, moins de 40 % des motos en circulation seraient immatriculées, et la proportion de conducteurs affiliés à une caisse de sécurité sociale demeure marginale. En réservant le secteur aux nationaux, le gouvernement souhaite instaurer un registre unique, imposer l’assurance obligatoire et renforcer les recettes fiscales associées. Cette orientation rejoint les recommandations énoncées lors du Forum national sur le transport urbain de 2023, prônant l’émergence d’un service de taxi-motos professionnel, identifiable et contributif au budget de l’État.
Le défi d’une application concertée et durable
Reste la délicate équation de la mise en œuvre. Les services de police et de gendarmerie, déjà fortement mobilisés sur la sécurité routière, devront contrôler la nationalité des conducteurs sans céder aux dérives discriminatoires ni entraver la fluidité du trafic. Les syndicats, pour leur part, promettent d’organiser des séances de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat afin que les nouvelles recrues congolaises répondent aux standards attendus. Dans une déclaration conjointe, les ministères du Travail et des Petites et Moyennes Entreprises ont annoncé la création d’un guichet unique destiné à simplifier les formalités d’obtention de licence. Autant d’initiatives qui, si elles se matérialisent, pourraient transformer la contrainte réglementaire en tremplin de modernisation.
Vers une mobilité urbaine réinventée
Le décret 2024-324 ne constitue ni un aboutissement ni une fin de parcours. Il ouvre une période de transition où l’État, les opérateurs et la société civile devront négocier un nouvel équilibre entre sécurité, compétitivité et inclusion. Pour la jeunesse congolaise, souvent à la recherche de voies d’ascension socio-professionnelle, la fenêtre d’opportunité est réelle mais exigeante : formation aux règles de conduite, respect de la fiscalité, investissement dans un matériel conforme aux normes. En pariant sur un secteur domestiqué et attractif, le Congo-Brazzaville aspire à conjuguer croissance urbaine et responsabilité citoyenne, dans un esprit d’équité et de stabilité propice à son développement durable.
