Brazzaville, carrefour d’un débat foncier aux enjeux historiques
Sous les lambris sobres d’un hôtel de la capitale, une cinquantaine de délégués venus des administrations publiques, du tissu associatif et des milieux d’affaires ont planché, le 26 juin, sur la version intermédiaire du décret visant à sécuriser les terres coutumières des populations autochtones. Convoqué dans le cadre de la Lettre d’intention signée entre le Congo et l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale, ce huis clos s’est voulu un exercice de démocratie technique : passer au crible chaque article, chaque virgule, afin de coller au plus près des pratiques agraires et des impératifs de conservation.
La délicate conciliation du droit écrit et des usages villageois
Le juriste Lassana Koné, représentant du Forest Peoples Programme, a reconnu que « le texte reste muet sur la coexistence entre concessions industrielles et terroirs autochtones ». Cette réserve illustre la quadrature du cercle à laquelle se heurtent les rédacteurs : comment intégrer des normes coutumières, souvent orales, dans un corpus légal déjà dense, sans créer un chevauchement de titres ni fragiliser l’attractivité économique des zones rurales ? Aux yeux de plusieurs participants, la solution passe par une cartographie participative, couplée à des procédures de médiation anticipées.
Trois niveaux de titres envisagés pour une protection graduée
Bernadin Yassine Ngoumba, figure reconnue du Centre d’encadrement communautaire pour le développement, a plaidé pour l’introduction de trois strates de sécurisation. Le village disposerait d’abord d’un titre collectif symbolisant l’identité territoriale. Autour, des zones d’interface recevraient un titre dit « adjacent » permettant la mutualisation des ressources forestières. Enfin, des titres individuels pourraient être décernés à des ménages, favorisant une agriculture familiale modernisée. Ce triptyque, déjà expérimenté dans la Sangha, répondrait à l’hétérogénéité des modes de vie – du nomadisme à la sédentarisation – sans opposer tradition et innovation.
Construire le consensus avant l’atelier national de juillet
« Nous voulons un document consolidé qui recueille l’assentiment des communautés avant sa présentation à l’échelle nationale », a insisté Nina Cynthia Kiyindou Yombo, directrice exécutive de l’Observatoire congolais des droits de l’homme. La phase de juillet s’annonce cruciale : elle déterminera la faculté du projet à rallier bâtiments administratifs, représentations autochtones et opérateurs forestiers. Les observateurs soulignent que la méthode inclusive employée jusqu’ici – études de terrain, ateliers régionaux, expertise internationale – constitue un précédent encourageant pour d’autres réformes sectorielles.
Un levier stratégique pour la jeunesse et l’économie verte
Au-delà du seul enjeu identitaire, la sécurisation foncière intéresse de près la jeunesse congolaise. Selon les projections de la Banque mondiale, 60 % des emplois créés d’ici 2030 dans le pays proviendront de filières agricoles et forestières à faible impact carbone. Disposer d’un cadre juridique clair donnera aux jeunes agripreneurs la possibilité de négocier des partenariats, d’accéder au crédit et de valoriser des produits issus des forêts communautaires. Dans les couloirs de l’atelier, plusieurs start-up agroécologiques ont d’ailleurs exprimé leur volonté d’investir dès que les dispositifs de titres seront opérationnels.
En toile de fond, se dessine également l’objectif national de réduction des émissions ainsi que la montée des financements climatiques. Un régime foncier apaisé renforcerait la crédibilité du Congo dans les négociations internationales, tout en confortant la paix sociale dans les zones rurales.
Vers une adoption éclairée au service de l’intérêt général
Après deux jours de débats intenses, le comité de rédaction a acté une nouvelle version du projet de décret. Les modifications concernent notamment la reconnaissance explicite du consentement libre, préalable et informé des communautés, ainsi que l’instauration d’un guichet unique dématérialisé afin de réduire les coûts de délivrance des titres. Les participants se sont quittés sur une note d’optimisme prudent : l’architecture légale se dessine, mais tout reposera sur la phase de mise en œuvre qui, elle, exigera formations, dotations budgétaires et volonté politique partagée.
Si le chronogramme est respecté, le texte pourrait être soumis au Conseil des ministres avant la fin de l’année, ouvrant la voie à un renouveau de la gouvernance foncière. Nombre de jeunes, qu’ils soient étudiants en droit, entrepreneurs ruraux ou défenseurs de l’environnement, guettent déjà cette échéance. Dans un pays où la terre reste la première source de revenus pour près de la moitié des ménages, la sécurisation des droits coutumiers apparaît moins comme un privilège que comme un socle de développement durable et d’harmonie sociale.
