Enjeu d’une journée mondiale
Le 26 juin, la planète s’est arrêtée un instant pour honorer la dignité humaine à travers la Journée mondiale de soutien aux victimes de la torture. Au Congo-Brazzaville, la commémoration a pris un relief particulier : organisations non gouvernementales, universitaires et représentants de l’administration se sont réunis, parfois dans les mêmes salles, pour dresser le bilan annuel des avancées et des défis. Cette conjonction d’acteurs traduit la conscience collective qu’aucune société ne peut prétendre à la modernité sans garantir l’intégrité physique et morale de chaque citoyen.
Dans la capitale, les débats ont rapidement convergé vers la question des lieux de détention, espace sensible où le droit doit constamment dialoguer avec l’impératif sécuritaire. Les jeunes, nombreux dans l’auditoire, ont exprimé un intérêt marqué pour une problématique qui touche leur génération de plein fouet, notamment au regard de la surreprésentation des 18-35 ans dans les procédures judiciaires.
Cartographie des alertes émises par la société civile
Le Consortium des associations pour la promotion de la gouvernance démocratique et l’État de droit (CAPGED) a publié à cette occasion une déclaration pointant « l’augmentation sensible des allégations de mauvais traitements » dans certains commissariats et brigades de gendarmerie. Le document synthétise les témoignages recueillis par cinq organisations nationales – OCDH, CDHD, FGDH, Ras-le-Bol et ARPA2DH – actives depuis plusieurs années dans l’accompagnement juridique des détenus.
Sans remettre en cause le cadre législatif existant, le CAPGED estime que des « poches de résistance aux bonnes pratiques » subsistent au sein de services parfois confrontés à la pression du chiffre et au manque de moyens. « L’enjeu n’est pas de stigmatiser les forces de sécurité, mais d’accélérer la formation continue au respect des droits fondamentaux », précise un porte-parole du collectif, soucieux d’installer le débat sur le terrain technique plutôt que dans la confrontation.
Cadre juridique et engagements internationaux
Sur le plan normatif, le Congo-Brazzaville n’est pas dépourvu d’instruments. L’article 11 de la Constitution prohibe expressément la torture, tandis que l’adhésion, en 2003, à la Convention des Nations unies contre la torture impose au pays un rapport périodique au Comité onusien compétent. En outre, la réforme du Code pénal, entrée en vigueur en 2018, renforce les garanties offertes aux personnes privées de liberté, notamment par l’introduction d’un contrôle juridictionnel plus strict de la garde à vue.
Les juristes interrogés rappellent néanmoins qu’un texte spécifique érigeant la torture en infraction autonome pourrait faciliter la qualification pénale et la collecte de données statistiques. Le ministère de la Justice confirme qu’un projet de loi en ce sens est à l’étude, dans le prolongement d’un atelier interministériel organisé en mai dernier avec l’appui de partenaires techniques internationaux.
Stratégies gouvernementales pour enrayer les dérives
Interrogé sur les conclusions du CAPGED, un haut responsable de la Direction générale des droits de l’homme au ministère de la Justice affirme que « chaque signalement déclenche désormais une enquête interne systématique, assortie de sanctions disciplinaires et, le cas échéant, judiciaires ». Cette approche de tolérance zéro s’appuie sur la circulaire interministérielle de novembre 2022, qui rappelle aux officiers de police judiciaire l’obligation de présenter tout suspect à un médecin dès les premières heures de détention.
Parallèlement, l’École nationale de police a intégré un module de vingt heures consacré au droit international humanitaire, tandis que la Gendarmerie nationale forme des instructeurs relais chargés de diffuser les bonnes pratiques dans les unités régionales. Ces initiatives, saluées par des partenaires techniques, témoignent d’une volonté d’accompagnement plutôt que de confrontation, attitude souvent considérée comme la clé d’un changement durable.
Perspectives d’une coopération constructive
Au-delà des dispositifs institutionnels, la prévention de la torture passe également par l’appropriation citoyenne de la notion de dignité. Les ONG, fortes de leur maillage territorial, proposent des ateliers de théâtre-forum et des cliniques juridiques mobiles qui sensibilisent les populations locales. De son côté, l’administration encourage la synergie associative, notamment via le Fonds de soutien aux initiatives de droits humains, doté de 150 millions de francs CFA pour l’exercice 2024.
Le croisement des données fournies par la société civile et celles recueillies par le ministère de la Justice, à travers la future Commission nationale de prévention, devrait, selon plusieurs observateurs, permettre une cartographie plus fine des situations à risque et orienter les plans de formation. Dans un contexte régional où la stabilité reste un acquis précieux, le Congo entend conjuguer sécurité publique et respect des droits fondamentaux, gage de confiance pour les citoyens et vecteur d’attractivité pour les investisseurs étrangers.
En définitive, si l’alerte du CAPGED sonne comme un rappel de vigilance, la réponse institutionnelle paraît s’inscrire dans une dynamique d’amélioration continue. L’élimination totale de la torture, objectif partagé, exige une coopération loyale entre tous les acteurs, une transparence accrue et une évaluation régulière des pratiques. La balle est donc dans le camp de l’ensemble de la société congolaise, appelée à transformer les textes en réalités tangibles pour chaque justiciable.