Une Journée internationale vécue à Brazzaville
La chaleur tropicale de ce 26 juin 2025 n’a pas freiné le ballet d’étudiants, d’avocats et de responsables associatifs convergeant vers le siège de l’Observatoire congolais des droits de l’homme, à quelques encablures du boulevard Alfred-Raoul. Devant la presse, le Consortium des associations pour la promotion de la gouvernance démocratique de l’État de droit a dressé un état des lieux sans fioritures : des témoignages de mauvais traitements, parfois mortels, auraient été recensés dans certains commissariats et brigades. L’instant, solennel, s’inscrivait dans le calendrier onusien qui consacre chaque 26 juin au soutien des victimes de la torture.
« Il ne s’agit pas d’une mise en accusation, mais d’un sursaut collectif », a résumé Geodefroid Quentin Banga, coordonnateur des programmes de l’OCDH, appelant à renforcer les garanties déjà offertes par la loi fondamentale. La tonalité du discours, ferme mais mesurée, traduit l’attachement des acteurs civiques aux principes d’équilibre entre exigence sécuritaire et sauvegarde de la dignité humaine.
Le rappel des textes : Constitution, Convention, Code pénal
Depuis la révision constitutionnelle de 2015, l’article 11 fait de l’interdiction de la torture un principe intangible, renforcé par l’adhésion du Congo, dès 2003, à la Convention des Nations unies contre la torture. Dans la hiérarchie normative, ces engagements placent le pays au rang des États ayant clairement banni les traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le Code pénal, réformé en 2018, sanctionne déjà les violences volontaires. Cependant, les praticiens du droit soulignent qu’une incrimination autonome du crime de torture faciliterait la traçabilité statistique, l’individualisation des peines et la formation des enquêteurs. « L’avenir appartient aux législations de précision plutôt qu’aux concepts généraux », glisse un magistrat du parquet de Brazzaville, sous couvert d’anonymat, ajoutant que la réflexion est « avancée » au sein du ministère de la Justice.
Voix de la société civile : alertes et attentes
Autour de la table, la mosaïque associative, de l’Association pour le respect des droits des populations autochtones au Mouvement Ras-Le-Bol, converge sur un point : l’urgence d’un dispositif qui rende la torture imprescriptible et non amnistiable. Les mémorandums transmis à la Commission nationale des droits de l’homme insistent sur la nécessaire médicalisation immédiate des personnes gardées à vue, ainsi que sur la vidéoprotection des cellules.
Cherotti Blanchard Mavoungou, président de l’ARPA2DH, préfère parler de « coopération constructive » avec les forces de sécurité : « Notre ambition n’est pas de stigmatiser, mais d’accompagner la modernisation de pratiques professionnelles déjà engagée depuis quelques années. » Une nuance révélatrice d’un climat où l’argument juridique prime sur l’invective politique.
Réponse institutionnelle : signaux d’ouverture et volonté d’amélioration
Dans un communiqué diffusé le soir même, la Direction générale de la police nationale a rappelé que « tout agent convaincu d’actes de torture ou assimilés s’expose à des sanctions disciplinaires et pénales sévères ». Certaines enquêtes internes, récemment conclues, auraient déjà abouti à des suspensions, preuve d’une doctrine disciplinaire plus rigoureuse.
Du côté du Parlement, la Commission des affaires juridiques planche sur un projet de loi spécifique, inspiré du Protocole facultatif à la Convention contre la torture. Les auditions se poursuivent, et des représentants d’associations de jeunesse ont été conviés, signe de l’attention portée aux attentes des 20-35 ans, génération particulièrement sensible aux questions de justice sociale.
Entre perception des jeunes et impératifs de modernisation
Sur les campus de l’Université Marien Ngouabi, les débats foisonnent. La plupart des étudiants interrogés saluent l’arsenal institutionnel, tout en souhaitant sa traduction tangible au quotidien. Pour Grâce Nkouka, masterante en sociologie, « le défi n’est plus de proclamer des principes, mais de faire muter la culture administrative vers plus de transparence ».
Cette impatience générationnelle rejoint les efforts déployés par le gouvernement pour améliorer les conditions de garde à vue, rénover les infrastructures pénitentiaires et intensifier la formation aux droits humains. Un programme pilote d’e-learning destiné aux recrues de la gendarmerie, lancé en mars dernier, illustre cette dynamique de modernisation.
Perspectives : vers une législation renforcée et une culture des droits humains
Au terme de cette journée de réflexion, un constat s’impose : le Congo dispose des fondations juridiques pour éradiquer la torture, et les canaux de dialogue entre pouvoirs publics et société civile se consolident. La prochaine étape, aux yeux des experts, consistera à doter le Code pénal d’un chapitre autonome sur la torture, à instaurer des mécanismes indépendants de visite des lieux de détention et à intensifier la sensibilisation du grand public.
En filigrane, c’est la quête d’une justice pleinement respectueuse de la dignité humaine qui se joue. Entre la force de la loi et la vigilance citoyenne, le pays poursuit une trajectoire où l’État de droit n’est pas seulement un idéal inscrit dans les textes, mais un horizon partagé par une jeunesse avide de cohérence. Le rendez-vous est pris pour mesurer, dans les mois à venir, les effets concrets des initiatives annoncées sur le terrain.
