Une présidence tournante qui échappe in extremis
Réunis à Abuja le 7 juillet, les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont désigné, presque au dernier moment, le Sierra-Léonais Julius Maada Bio à la tête de l’organisation. Le cérémonial paraît routinier, mais la diplomatie sénégalaise s’était avancée, persuadée que l’alternance démocratique réussie de mars dernier à Dakar faisait de Bassirou Diomaye Faye le candidat idéal : jeune, réformateur et, selon les communiqués officiels, « représentatif d’une nouvelle génération de leadership africain ».
L’annonce, intervenue après un huis clos prolongé, a donc surpris la délégation sénégalaise. À Dakar, certains conseillers admettent avoir « sous-estimé l’intense lobbying des capitales anglophones ». D’autres pointent des alliances implicites nouées autour des questions sécuritaires, la Sierra Leone ayant récemment renforcé sa coopération antiterroriste avec le Nigeria, poids lourd de la Cedeao. Entre désillusion et volonté de maintenir une posture constructive, la présidence sénégalaise a publié un communiqué sobre saluant « l’esprit d’unité ouest-africain ».
Réactions feutrées à Dakar, crispations régionales
Dans les heures qui ont suivi, la place dakaroise Sandaga bruissait déjà de spéculations, tandis que les réseaux sociaux sénégalais interrogeaient la capacité de la nouvelle équipe à se mouvoir dans les arcanes communautaires. Un conseiller ministériel confie, sous anonymat, que le président « n’a pas goûté l’argument de l’inexpérience régulièrement évoqué dans les couloirs ». Les chancelleries, elles, rappellent que la coutume ouest-africaine privilégie une rotation linguistique et géographique, sans pour autant figer les choix.
Plus au nord, la Mauritanie, observatrice de la Cedeao, perçoit dans cette décision un signal de rééquilibrage francophone-anglophone. Au sud, le Ghana salue la sélection d’un partenaire issu d’un pays qui n’a jamais dirigé l’organisation, y voyant une « inclusion bienvenue ». Ces réactions contrastées illustrent, selon la politologue Rokhaya Thiam (Centre africain d’études stratégiques), « la vitalité d’une diplomatie régionale où chaque capitale tente de maximiser ses marges, parfois au détriment de la préséance protocolaire ».
Les dessous procéduraux d’un vote serré
Officiellement, la décision se prend par consensus. Dans les faits, la procédure prévoit un vote à bulletin secret si aucun accord ne se dégage dans la première demi-heure. Selon une note confidentielle qui a circulé au secrétariat général, onze délégations sur les quinze estimaient que l’heure n’était pas aux expérimentations, l’organisation devant composer avec la persistance des régimes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Pour ces capitales, un profil disposant déjà d’un réseau de partenaires militaires et sécuritaires solides semblait préférable.
Le diplomate ivoirien Amadou Koné rappelle que « l’argument de l’âge n’a pas ouvert toutes les portes » : à 44 ans, Bassirou Diomaye Faye incarne certes la relève, mais il n’a pas encore eu l’occasion d’animer un sommet de crise sous forte pression. À l’inverse, Maada Bio, 60 ans, vétéran des opérations de maintien de la paix dans les années 1990, offre une courbe d’expérience rassurante pour plusieurs pays confrontés aux groupes armés sahéliens.
Une stature internationale encore en rodage
Depuis son investiture, le président sénégalais a entamé une tournée qui l’a conduit à Nouakchott, Abidjan et Paris, avec, à chaque étape, un prisme économique affirmé : captation d’investissements, défense de la stabilité énergétique future liée aux gisements gaziers de Sangomar et de GTA. Cette diplomatie d’attractivité, saluée par les milieux d’affaires, ne suffit toutefois pas à transformer instantanément un chef d’État nouvellement élu en arbitre régional.
Les chancelleries rappellent que Macky Sall, son prédécesseur, n’avait obtenu la même présidence tournante qu’après huit années au pouvoir. « Le temps est un allié précieux dans la fabrication d’un rôle d’équilibriste », souligne le journaliste nigérian Chijioke Eke. Livrer bataille dès le premier semestre de mandat comporte donc un risque d’image si l’issue n’est pas maîtrisée, comme c’est le cas aujourd’hui.
Quelles leçons pour la jeune diplomatie sénégalaise
Dans l’entourage du chef de l’État, on assure que « l’énergie de la déception sera réinvestie dans les chantiers domestiques ». Les préparatifs du budget 2025 et la stratégie d’industrialisation locale, clés de voûte du programme électoral, pourraient en tirer bénéfice. Sur le plan régional, la diplomatie sénégalaise pourrait rechercher des positions sectorielles, moins symboliques mais plus influentes, au sein des agences spécialisées de la Cedeao, à l’image du Comité des services financiers ou de la Task Force sur le climat.
Pour les jeunes adultes congolais, souvent fascinés par la dynamique politique sénégalaise, cet épisode rappelle qu’une transition générationnelle ne s’impose pas d’un simple coup d’urne. L’art de la négociation multilatérale, nourri de patience stratégique, reste le passage obligé avant de prétendre incarner l’avenir d’un espace régional. En d’autres termes, le prestige ne précède pas toujours la compétence perçue ; il en découle, à pas mesurés.