Brazzaville se rassemble autour d’un cercueil devenu symbole
Par un matin chargé d’harmattan, la foule s’est massée dans les ruelles de Moungali avant de gagner le cimetière de Wayako, transformant le cortège funèbre en un long ruban humain ponctué de refrains repris à l’unisson. Aucun slogan politique, aucune controverse : seulement la ferveur recueillie de ceux qui, de près ou de loin, ont été touchés par la voix chaleureuse de Mesmin Gonzague Matouridi. Âgé de soixante-dix ans, l’artiste s’est éteint le 23 mai 2025, laissant à la capitale une partition d’émotions que rien n’effacera. À l’église Jésus Ressuscité et de la Divine Miséricorde du Plateau des 15 ans, la messe de requiem a résonné comme une dernière scène, rappelant la noblesse d’un parcours que ni la maladie ni le temps n’auront terni.
Moungali, creuset d’un destin forgé dans les chœurs de quartier
Pour comprendre la trajectoire du défunt, il faut remonter aux années 1960 dans le Moungali d’alors, un quartier où les groupes vocaux fleurissaient à chaque coin de rue. Dans cette effervescence urbaine naissent Les Intimes, ensemble informel que fréquentent un très jeune Mesmin Matouridi, Nzongo Soul ou encore Pierre Jean Ntsiété. Très vite, la curiosité musicale du chanteur l’entraîne vers Les Zoulous, autre fratrie sonore issue d’une dissidence assumée. L’amateurisme n’est qu’un passage : « Il brillait déjà par son sens de la mise en scène », répète aujourd’hui Gérard Kimbolo, cofondateur des Anges. C’est là que l’adolescent apprend à conjuguer deuxième voix, percussions rudimentaires et pas de danse syncopés, socle d’une polyvalence devenue sa marque.
Les Anges : de la sélection exigeante au triomphe des tournées
Recruté au début des années 1970 après un test soutenu par le chef d’orchestre Abel Malanda, le néophyte rejoint Les Anges, formation déjà courue sur les deux rives. Commence alors un cycle de tournées qui mène la bande de Sofia à Conakry, puis à Dakar, offrant à Matouridi un premier frisson international. « Le voyage en Bulgarie reste gravé », confie Kimbolo, évoquant des concerts où le public découvrait l’âpreté mélodique du lingala mêlée aux cadences d’inspiration bantoue. Sur scène, le chanteur se fait aussi maître de cérémonie, introduisant les morceaux avec l’aisance d’un présentateur radiophonique. Cette dimension hybride – artiste et animateur – élargit l’audience du groupe et renforce la réputation de showman du principal intéressé.
Un catalogue pérenne, entre tradition, chronique sociale et joie de vivre
Toujours soucieux de préserver la veine populaire, l’auteur compose « Nao ku ntanga mbila », complainte s’appuyant sur les idiophones du Pool, ou encore « Ndenge nini mokili ezali boye », interrogation existentielle qui parcourt encore les bars-dancings de Talangaï. Loin des complaintes figées, « Ba ya kaka na pasi na mawa » illustre sa capacité à saisir le désarroi ordinaire sans sacrifier la cadence festive. Ces titres, diffusés jadis sur des cassettes SBB, continuent d’être remixés par de jeunes DJ, preuve d’un legs partageable. Polyvalent, Mesmin alterne chœurs, leads et passages dansés, bouleversant la ligne parfois rigide qui séparait musiciens et danseurs. Esseulé ou entouré, il demeure l’incarnation d’une modernité respectueuse des racines.
Témoignages croisés : un artiste devenu légende familière
À l’heure des adieux, les voix se mêlent pour dresser un portrait nuancé. Jocelyn Pierre-Rodolphe Miakassissa se rappelle avoir fondé, avec le défunt, l’orchestre amateur Mondenge avant l’épisode Shamanga, préambules discrets de futures consécrations. « Il était un nzonzi, un rassembleur », résume celui qui fut son complice, évoquant un homme capable de fédérer au-delà des simples considérations stylistiques. Musiciens confirmés, autorités culturelles et anonymes convergent vers une idée commune : en incarnant jusque dans la maladie la joie obstinée de la création, Mesmin Matouridi aura transmis aux plus jeunes un sens de la persévérance que la scène congolaise contemporaine revendique désormais.
Un écho durable au-delà de la tombe pour la jeunesse congolaise
L’inhumation à Wayako n’a pas scellé la dernière note. Les plateformes de streaming locales enregistrent déjà une recrudescence d’écoutes, tandis que Congo All Stars, son ultime groupe, envisage une compilation hommage. Les centres culturels de Brazzaville projettent d’inscrire certains arrangements au patrimoine immatériel national, signe d’un partenariat harmonieux entre acteurs culturels et autorités publiques. Pour la génération 20-35 ans, souvent en quête de repères, la trajectoire de Matouridi offre un modèle d’audace sobre : travailler son art, voyager sans renier ses origines, et demeurer, jusqu’au bout, à l’écoute de la ferveur populaire. Ainsi se perpétue le chant d’une vie dont chaque refrain rappelle au Congo que sa musique, loin d’être un simple divertissement, demeure l’un des ciments de sa cohésion.