Brazzaville revisite 1880
Dans l’auditorium Denis-Sassou-N’Guesso, au cœur du mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza, les voix du passé ont résonné. Un colloque international y a célébré le cent-quarante-cinquième anniversaire du Traité Brazza-Makoko, signé le 10 septembre 1880 à Mbé, non loin de Bacongo.
Chercheurs, autorités locales et invités de France, d’Italie ou du Bénin ont partagé micros et anecdotes, transformant quatre murs en carrefour d’idées sur l’héritage colonial, l’identité congolaise et la place des chefferies traditionnelles dans la modernité.
Un colloque sous le signe de la mémoire partagée
Ouvrant la cérémonie, Bernard Batantou, maire de Bacongo, a souhaité « un agréable séjour en terre de Mâ Loango » aux délégations, espérant que la rencontre devienne, selon ses mots, « un moment de réconciliation avec le passé ».
La présidente du comité d’honneur, Bélinda Ayessa, a rappelé que « l’écriture de l’histoire donne à la mémoire collective des clés d’intelligibilité ». Pour elle, relire 1880, c’est éclairer les ambitions d’aujourd’hui sans enfermer les consciences dans la nostalgie.
Chefferies et royaumes africains, regards croisés
Sous la houlette d’Eugénie Opou Mouayini, la programmation a mêlé historiens, anthropologues, linguistes et rois coutumiers venus de l’espace bantou. Le pari : croiser disciplines pour comprendre comment les chefferies négocient leur place dans un monde bouillonnant de mutations numériques et climatiques.
La leçon inaugurale d’Erickson Opou, intitulée « Mémoire d’un peuple », a posé la question centrale : comment le retour au passé nourrit-il l’identité sans verser dans le repli ? L’orateur voit dans la reconstitution historique un levier de dialogue, d’ouverture et de dignité.
Entre deux panels, des groupes tradi-modernes ont alterné tam-tam, balafon et riffs de guitare, rappelant que la culture vit aussi par la fête. Les applaudissements ont souvent prolongé la parole des savants, créant une atmosphère quasi-festive propice aux rencontres spontanées.
Recherches scientifiques et vision nationale
Représentant la ministre de l’Industrie culturelle, artistique, touristique et des Loisirs, Lis-Pascal Moussodji Nziengui a salué « un trait d’union entre passé, présent et avenir ». Il a rappelé que la promotion de la recherche demeure une priorité portée par le président Denis Sassou Nguesso.
Plusieurs interventions ont détaillé les chantiers en cours : numérisation des archives royales, bourses doctorales sur l’oralité et création d’une base de données interactive accessible aux écoles. Les jeunes chercheurs congolais y voient l’occasion de publier chez eux plutôt que d’exiler leurs résultats.
Pour le professeur gabonais Achille Moundélé, présent en visioconférence, « l’Afrique doit écrire son histoire avec ses propres encres ». Ses propos ont fait consensus : l’étude des alliances politiques pré-coloniales apporte des enseignements cruciaux à l’heure des intégrations régionales et de la zone de libre-échange africaine.
Entre passé assumé et futur à bâtir
Au-delà des discours, une dynamique se dessine : créer un réseau panafricain d’instituts travaillant sur les chefferies. Des ateliers pratiques ont jeté les bases d’une charte qui encouragera l’échange de savoir-faire, la mobilité estudiantine et la mutualisation des ressources audiovisuelles.
Les organisateurs misent aussi sur le numérique. Une exposition virtuelle racontera bientôt la rencontre entre Pierre Savorgnan de Brazza et le roi Makoko Iloo Ier sous forme de stories Instagram et de filtres en réalité augmentée, pensée pour capter l’attention des lycéens.
Dans les couloirs, on croisait des étudiants de l’université Marien-Ngouabi venus chercher des stages, mais aussi des youtubeurs culturels à l’affût de contenus viraux. La symbiose entre académiques et créateurs de contenu démontre l’appétit des jeunes Congolais pour des narrations renouvelées.
Le colloque s’est clos par une motion recommandant la tenue d’un festival annuel « Route de l’histoire » alternant Brazzaville, Oyo et Pointe-Noire. L’idée est d’impliquer l’ensemble du pays et d’attirer un tourisme mémoriel en plein essor sur le continent.
Alors que les derniers tambours se taisaient, beaucoup repartaient avec la conviction que la mémoire, loin d’être poussiéreuse, peut se faire moteur de développement. À 145 ans, le Traité Brazza-Makoko continue d’ouvrir des routes inattendues, entre science, culture et vivre-ensemble.
Des débats académiques passionnés
Les échanges les plus vifs ont porté sur la traduction des récits oraux en langues européennes. Certains universitaires craignent une perte de nuance, d’autres y voient un élargissement du public. Finalement, la salle a applaudi l’idée d’éditions bilingues vernaculaires-français.
Sur la question de la cartographie historique, le géographe camerounais Nadège Essomba a présenté des cartes interactives superposant frontières coloniales, espaces coutumiers et bassins commerciaux actuels. Le dispositif a étonné le public, révélant la vitalité transfrontalière des peuples teke et mbochi.
Brazzaville, carrefour de dialogues
Au Café des Archives, installé pour l’occasion sous un chapiteau, les participants ont prolongé les débats jusque tard. Autour d’un ngôkî fumant, étudiants et chefs royaux ont échangé de simples numéros WhatsApp, promesse de collaborations futures et de visites croisées.
À la sortie, une lycéenne de Talangaï a confié vouloir « raconter l’histoire de Makoko sur TikTok ». Ce témoignage illustre la bascule générationnelle : la mémoire n’est plus cantonnée aux livres mais s’invite dans les feeds, multipliant les vecteurs de transmission.
