Une convergente stratégie Sud–Sud à haute valeur symbolique
En installant leur premier Forum économique bilatéral dans le calendrier des grands rendez-vous africains, la Tunisie et le Nigeria prennent acte d’une réalité géopolitique souvent invoquée mais rarement concrétisée : l’émancipation commerciale du continent vis-à-vis des pôles traditionnels du Nord. Cette initiative découle de plus d’une année de diplomatie économique foisonnante, ponctuée par la participation remarquée de délégations nigérianes à la FITA 2024 puis par une mission inverse tunisienne à Abuja en septembre. Le lancement, cette semaine, du Tunisia–Nigeria Business Council scelle institutionnellement un rapprochement qui dépasse la simple quête de parts de marché. « Nous bâtissons un corridor de confiance », résume Chris Eruba, coprésident nigérian du nouveau conseil d’affaires.
La transition énergétique, socle d’une synergie vertueuse
Le choix de faire de l’énergie le fil rouge du forum n’a rien d’anecdotique. Classés premiers et deuxièmes africains dans l’indice de transition énergétique du World Economic Forum, le Nigeria et la Tunisie partagent le constat qu’un positionnement précoce sur les infrastructures vertes constitue un passeport pour la sécurité économique de demain. Des discussions avancées portent sur la co-conception de fermes solaires hybrides adaptées aux zones à faible densité, ainsi que sur la mobilité électrique pour les corridors logistiques Lagos-Abuja et Bizerte-Gabès. Le ministre tunisien des Mines, Fethi Sellaouti, affirme que « l’interopérabilité des réseaux intelligents méditerranéens et ouest-africains est techniquement atteignable à horizon 2030, sous réserve d’un financement innovant mêlant capitaux publics et fonds climat privés ».
Technologie et santé : l’innovation comme trait d’union
Au-delà de l’énergie, la dimension numérique irrigue la plupart des rencontres d’affaires. Start-up tunisiennes spécialisées dans l’agri-tech, la télémédecine ou la cybersécurité ont profité des célèbres « Pitch Days » organisés en marge du forum pour séduire des fonds d’investissements nigérians en mal de solutions localisées. De son côté, Abuja cherche dans l’ingénierie biomédicale tunisienne un atout pour doter ses hôpitaux universitaires d’unités de production de consommables. Aux yeux d’Anis Jaziri, président du Tunisia Africa Business Council, « l’alignement des écosystèmes d’innovation est moins un slogan qu’un besoin vital, car nos deux pays affrontent une même pyramide démographique jeune et exigeante ».
Des chiffres qui racontent l’ampleur du tournant commercial
Les statistiques fournies par le CEPEX viennent confirmer l’accélération qualitative du partenariat. Les exportations tunisiennes vers le Nigeria ont été multipliées par dix en douze mois, atteignant 82 millions de dinars à fin avril 2025 contre tout juste 7 millions un an plus tôt. À l’inverse, les flux nigérians d’hydrocarbures légers et de produits agricoles transformés vers Tunis s’affichent en hausse de 37 %. Cette asymétrie maîtrisée s’explique, selon la Banque africaine d’import-export, par la montée en puissance progressive de joint-ventures locales dans la logistique portuaire. Elle témoigne aussi d’une complémentarité sectorielle que les deux capitales veulent convertir en pacte industriel à long terme.
Projection vers la CEDEAO, pivot de l’intégration continentale
Au-delà de la relation bilatérale, Tunis ambitionne de faire de sa façade méditerranéenne une plateforme d’accès à la CEDEAO pour son industrie pharmaceutique et son savoir-faire dans le BTP. Le Nigeria, acteur majeur du bloc ouest-africain, trouve dans l’expertise tunisienne un partenaire susceptible d’optimiser la chaîne de valeur régionale, de la conception d’hôpitaux modulaires à la fabrication de composants d’éoliennes côtières. Selon une note interne du secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine, la réussite de ce couple Nord-Ouest pourrait servir de « démonstrateur » à l’intégration, à l’heure où plusieurs économies cherchent des relais de croissance hors matières premières.
Quel écho pour la jeunesse congolaise en quête d’opportunités ?
Observée depuis Brazzaville, cette convergence Tunisie–Nigeria offre un laboratoire grandeur nature dont peuvent s’inspirer nos entrepreneurs de vingt à trente-cinq ans. Accéder à des chaînes d’approvisionnement plus diversifiées, bénéficier de transferts de technologie en santé numérique ou négocier des stages au sein des start-up labellisées par le Tunisia Africa Business Council devient soudain envisageable. « La coopération sud-sud cesse d’être une rhétorique ; elle s’incarne dans des protocoles que nous pouvons rejoindre », analyse la consultante congolaise Diane Loukakou, invitée comme observatrice au forum. À elle seule, cette perspective justifie que nos incubateurs et nos universités tissent dès maintenant des passerelles académiques avec Tunis et Lagos, afin de ne pas manquer le train d’une Afrique qui apprend à compter d’abord sur elle-même.