Un pari stratégique pour la place bancaire centrafricaine
À la faveur du Caucus africain 2025 réuni à Bangui, le président Faustin-Archange Touadéra a reçu Tony Elumelu, fondateur du groupe United Bank for Africa. L’entretien, présenté comme cordial par la presse présidentielle, a débouché sur un vœu précis : faire de la République centrafricaine le vingt-et-unième pays africain à accueillir la banque panafricaine. Si l’on en croit les chiffres de la Banque des États de l’Afrique centrale, seuls quatre établissements opèrent aujourd’hui dans le pays, pour un taux de bancarisation inférieur à dix pour cent. L’arrivée d’un acteur de la taille de UBA modifierait donc l’équation concurrentielle, tout en stimulant la modernisation des infrastructures de paiement.
Les arguments avancés par Bangui sont clairs : un tissu entrepreneurial jeune, mais sous-financé, et un marché bancaire qui, malgré une progression de 26 % des octrois de crédits entre 2023 et 2024, reste dominé par deux enseignes. Pour UBA, déjà implantée au Cameroun, au Tchad, au Gabon et au Congo-Brazzaville, la manœuvre permettrait de boucler son quadrillage de la zone CEMAC et de renforcer des économies interconnectées par le franc CFA.
Les enseignements pour les jeunes entrepreneurs de la CEMAC
À Brazzaville comme à Bangui, les créateurs d’entreprises partagent la même préoccupation : accéder à un financement à long terme, à taux raisonnable, exempt de garanties souvent hors de portée. La promesse formulée par UBA répond à cette attente. Le groupe nigérian affirme allouer, dans chacun de ses nouveaux marchés, un guichet spécifique aux start-ups et aux très petites entreprises. « Le défi n’est pas l’énergie de la jeunesse, mais le carburant financier qui l’alimente », résume Henri Owanga, analyste congolais du cabinet Emerging Markets Insights. L’installation d’un nouvel acteur inciterait mécaniquement ses concurrents à ajuster leurs marges et à diversifier leurs produits, créant un cercle vertueux que la génération Z locale appelle de ses vœux.
En filigrane, c’est la mobilité des capitaux au sein de la sous-région qui se verrait facilitée. Un entrepreneur basé à Pointe-Noire, désireux d’exporter vers Bangui, pourrait demain se reposer sur un réseau bancaire unifié, rationalisant les transferts et réduisant les délais de sécurisation des paiements. Dans un environnement marqué par la montée en puissance du commerce électronique, cette fluidité transfrontalière deviendrait un avantage compétitif décisif.
UBA, un partenaire déjà familier au Congo-Brazzaville
Présente à Brazzaville depuis 2012, UBA y a développé une image d’établissement ouvert aux nouvelles technologies. L’introduction de cartes prépayées adaptées aux micro-transactions a séduit étudiants, travailleurs indépendants et migrants intra-africains. L’inertie observée ailleurs dans le secteur bancaire congolais a ainsi été bousculée par des solutions mobiles capables de fonctionner même dans des zones à faible connectivité. L’autorité monétaire congolaise, tout en veillant à la solidité prudentielle des bilans, salue un « effet d’entraînement positif sur l’innovation locale ».
Cette expérience, désormais érigée en modèle par le siège de Lagos, constitue un argument de poids dans le dossier centrafricain. Bangui espère répliquer les dispositifs de coachings financiers ou de crédit revolving à destination des petites entreprises agricoles, un segment stratégique pour la sécurité alimentaire régionale. De son côté, Brazzaville y voit la consolidation d’un réseau susceptible d’accompagner sa propre politique de diversification économique inscrite dans le Plan national de développement.
La Fondation Tony Elumelu, laboratoire de talents africains
Au-delà de la seule dimension commerciale, la rencontre de Bangui a rappelé le rôle pivot de la Tony Elumelu Foundation, bras philanthropique du groupe. Plus de vingt-quatre mille entrepreneurs africains ont déjà bénéficié de son programme emblématique, combinant formation en ligne, mentorat et subvention initiale de 5 000 dollars. Pour la seule Centrafrique, vingt-trois lauréats ont été répertoriés, souvent actifs dans l’agri-tech ou l’artisanat numérique. « Notre ambition est de passer la barre symbolique des cent bénéficiaires dans les trois ans », assure une note interne consultée par nos soins.
Si l’implantation bancaire venait à se concrétiser, ces jeunes pousses gagneraient un accès privilégié à des instruments de crédit plus sophistiqués, tels que les lignes de découvert saisonnières ou les garanties partielles adossées à des bailleurs multilatéraux. L’écosystème pourrait alors se densifier, offrant aux talents congolais et centrafricains une scène partagée pour tester, affiner et exporter leurs innovations.
Vers une intégration financière régionale plus inclusive
Au sein de la CEMAC, l’idée d’un marché financier intégré n’est pas nouvelle, mais elle progresse à pas comptés. La consolidation des Bourses sous-régionales, l’interconnexion des systèmes de paiement et l’harmonisation des régulations prudentielles demeurent des chantiers en cours. L’expansion de UBA, forte d’une présence simultanée dans chacun des six États membres, agirait comme un catalyseur, offrant une infrastructure privée de règlement et de compensation capable de dialoguer avec les plateformes publiques.
Pour les jeunes adultes, principaux utilisateurs des services numériques, l’enjeu est double : disposer d’outils de paiement transfrontaliers sécurisés et voir émerger des produits d’épargne adaptés à leur cycle de vie. L’histoire récente du e-commerce congolais montre qu’une application mobile adossée à un réseau bancaire solide peut rapidement franchir les frontières. À Bangui, le signal envoyé par le chef de l’État constitue donc moins une conclusion qu’un point de départ. Dans un contexte où les autorités congolaises prônent une coopération économique sud-sud renforcée, la dynamique annoncée résonne comme l’un des leviers les plus tangibles de l’intégration nouvelle génération.