Mémoire nationale et espace urbain
À travers les artères ombragées de Brazzaville comme de Pointe-Noire, la statuaire publique n’est jamais anodine. Elle constitue, selon le sociologue Davy Mombouli, « un livre d’histoire à ciel ouvert que déchiffrent au quotidien les passants, même inconsciemment ». Au sortir du conflit de 1997, l’État s’est attaché à resserrer les liens civiques en matérialisant la mémoire nationale. Le choix de la pierre et du bronze, pérennes par essence, traduit une volonté d’inscrire la République dans la longue durée, au-delà des conjonctures.
Panorama des statues post-conflit
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso et du ministre de la Culture Jean-Claude Gakosso, plusieurs figures fondatrices ont trouvé place dans le paysage urbain. Jean Félix-Tchicaya dialogue désormais avec l’océan à Pointe-Noire, tandis que Fulbert Youlou, Jacques Opangault et Robert Stéphane Tchitchellé veillent sur les places emblématiques de Brazzaville. À ces legs s’ajoutent des édifices plus anciens, dont le mausolée Marien Ngouabi et le stade Alphonse Massamba-Débat, rappelant qu’une nation se construit aussi par superposition de strates mémorielles héritées de périodes contrastées.
Ce mouvement de monumentalisation n’a pas pour seul objet de sublimer le passé. Il fixe dans l’espace public des repères susceptibles d’amortir les secousses politiques et de désamorcer les lectures uniquement claniques de l’histoire. Le ministère de la Culture estime d’ailleurs que près de soixante pour cent des visiteurs de ces sites ont moins de trente-cinq ans (Ministère de la Culture, rapport 2022), signe que les jeunes générations s’approprient ces icônes contemporaines.
Jeunesse et quête d’identité civique
Chez une frange importante des 20-35 ans, la notion même de citoyenneté passe par la reconnaissance de récits communs. « Voir Youlou ou Opangault figés dans le bronze, c’est comprendre qu’ils ont existé hors des manuels scolaires », confie Sylvie, étudiante en sciences politiques. Cette visualisation renforce un sentiment d’appartenance nationale souvent érodé par la mondialisation numérique. Pour le pédagogue Isidore Banzouzi, l’art public devient ainsi « un complément au programme d’histoire, accessible sans mot de passe ni connexion ».
Le contexte sous-régional, marqué par une mobilité accrue, invite en outre la jeunesse congolaise à défendre son histoire comme un vecteur de soft power. Les statues et stèles s’inscrivent dès lors dans une dynamique plus large de branding territorial, comparable à l’essor du street art à Dakar ou aux fresques patrimoniales d’Abidjan.
Vers un Panthéon congolais?
La proposition formulée par l’ancien ministre Joseph Ouabari de créer un Panthéon à Brazzaville ravive le débat. Un tel édifice, inspiré des grandes nécropoles républicaines, permettrait de regrouper figures politiques, écrivains, sportifs ou chercheurs qui ont façonné le Congo. Les partisans y voient un symbole de gratitude nationale, mais aussi un outil touristique capable d’attirer la diaspora et les curieux d’Afrique centrale.
L’historien Pr. Gustave N’Sondé rappelle toutefois la nécessité d’un consensus scientifique rigoureux pour définir les critères d’inhumation: « Le Panthéon ne doit pas devenir l’extension d’une chapelle politique, mais le miroir impartial de notre pluralité historique ». Dans le même temps, des voix s’élèvent pour que les présidents Alfred Raoul et Jacques Joachim Yhomby-Opango, encore absents de la statuaire, y trouvent une place, illustrant un souci d’équilibre chronologique.
Enjeux diplomatiques et pédagogiques de la mémoire
Un Panthéon congolais ne se réduirait pas à un geste symbolique intérieur. En valorisant des personnalités comme le cardiologue Jean-Félix Pandi ou la cinéaste Joséphine Mboka, l’État projette une image de modernité et d’ouverture, susceptible de renforcer les coopérations culturelles. Le Quai d’Orsay reconnaît d’ailleurs que la diplomatie des mémoires est devenue un instrument souple du rayonnement international (Entretien, attaché culturel français, 2023).
Sur le plan éducatif, la mutualisation d’archives, d’objets et de supports numériques dans un même lieu faciliterait la recherche académique locale. Universités et lycées pourraient y organiser visites guidées et ateliers de débat, consolidant la formation civique des jeunes adultes.
Perspectives d’avenir au carrefour du marbre et du numérique
L’État congolais dispose déjà d’un socle juridique pour encadrer ce projet, via la loi sur le patrimoine culturel de 2011. Reste à mobiliser les financements, éventuellement dans le cadre d’un partenariat public-privé incluant fondations et mécènes de la diaspora. Les technologies immersives, de la réalité augmentée aux archives interactives, pourraient transformer la visite d’un futur Panthéon en expérience pédagogique 4.0, connectée aux smartphones des visiteurs.
En définitive, ériger un Panthéon ne signifie pas figer l’histoire. C’est offrir aux jeunes une narration partagée, ouverte à la critique constructive et propice à l’unité. Cette promesse de marbre, si elle voit le jour, prolongera la politique mémorielle amorcée depuis un quart de siècle et rappellera que le Congo d’aujourd’hui se construit autant par la mémoire que par l’innovation.