Brazzaville scelle une feuille de route pragmatique
Sous les lambris feutrés du ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et de l’Action humanitaire, la signature d’une entente technique, le 3 juillet, a donné le ton : le Congo-Brazzaville veut désormais conjuguer anticipation et réactivité face aux chocs humanitaires. Après des saisons de pluies torrentieuses, des flambées épidémiques sporadiques et des flux de populations déplacées depuis les zones frontalières, la nécessité d’une architecture de riposte robuste n’est plus un simple vœu pieux. « Il faut donner aux structures déconcentrées les outils leur permettant de riposter plus rapidement », a résumé Gon Meyers, représentant du Programme alimentaire mondial, en sortant de l’entretien avec la ministre Irène Marie-Cécile Mboukou-Kimbatsa.
Renforcer la chaîne logistique : un impératif reconnu
Le cœur du dispositif repose sur la relocalisation d’actifs logistiques stratégiques. Le PAM s’est engagé à transférer au gouvernement les entrepôts de Kindamba dans le Pool, ainsi que ceux de Bétou et Impfondo dans la Likouala. Ces plates-formes de stockage, dimensionnées pour accueillir vivres, kits sanitaires et équipements de première nécessité, raccourcissent de plusieurs heures, parfois de plusieurs jours, le délai d’acheminement vers les zones sinistrées. Dans un pays où les pistes secondaires peuvent devenir impraticables à la première crue, disposer d’un maillage d’entrepôts régionaux revient à sécuriser la phase critique des quarante-huit premières heures post-catastrophe.
Le transfert ne se limite cependant pas aux murs. Le protocole inclut la maintenance du parc de camions tout-terrain, la formation à la gestion d’inventaire et l’introduction de solutions numériques de suivi des flux, déjà éprouvées dans le corridor humanitaire de Goma. « Nous voulons que chaque colis qui quitte l’entrepôt soit traçable en temps réel depuis Brazzaville », insiste un ingénieur logistique du ministère, témoin des discussions.
Le rôle pivot des antennes départementales
Au-delà des infrastructures, l’accord consacre la montée en compétence des directions départementales de l’Action humanitaire. Souvent perçues comme de simples relais administratifs, ces antennes gagneront un statut opérationnel renforcé. Un module de formation, co-conçu avec l’École nationale d’administration et de magistrature, abordera la coordination inter-services, la rédaction de plans de contingence et la gestion psychosociale des sinistrés. La ministre Mboukou-Kimbatsa évoque « une décentralisation de l’expertise, pour que la décision ne reste pas prisonnière des bureaux de la capitale ».
L’intérêt est double : rapprocher la décision du terrain et libérer les équipes centrales pour les tâches de planification stratégique. Dans la Likouala, département fréquemment touché par les crues de l’Oubangui, les agents s’entraînent déjà à cartographier par drones les zones inondables et à simuler l’implantation de sites d’hébergement temporaires. Les données collectées alimentent un tableau de bord national alimenté par la plateforme GeoHub du PAM, consultable en temps réel par les partenaires techniques et financiers.
Des cantines scolaires à l’inclusion autochtone : la transversalité du dossier alimentaire
L’entretien du 3 juillet n’a pas évacué la dimension sociale et économique de la réponse alimentaire. Les deux parties ont réaffirmé leur volonté d’impliquer les coopératives féminines dans l’approvisionnement des cantines scolaires. Cette approche, déjà pilote à Sibiti, soutient le revenu des petits producteurs tout en garantissant aux élèves un repas équilibré. « Cultiver pour nourrir son école, c’est ancrer la souveraineté alimentaire dans le quotidien », a déclaré une responsable d’une coopérative maraîchère venue plaider pour un élargissement du dispositif.
L’accord veille également à ne pas laisser en marge les communautés autochtones, dont l’isolement géographique complique l’accès aux programmes classiques. Des agents formés à la médiation interculturelle seront déployés dans la Sangha et la Cuvette-Ouest afin d’adapter les distributions et de respecter les cycles traditionnels de chasse et de cueillette. Cette attention répond aux engagements internationaux du Congo en matière de protection des peuples autochtones et à l’agenda 2030 des Nations unies.
Financement, données et résilience : l’équation des prochaines années
Renforcer la riposte suppose un financement pérenne. Brazzaville table sur une allocation budgétaire progressive, appuyée par des lignes de crédit concessionnelles de la Banque africaine de développement et par un guichet vert climat-résilience. Le mécanisme s’articule autour d’indicateurs de performance liés au temps de déploiement des secours, au taux de couverture alimentaire et au pourcentage d’écoles approvisionnées localement.
L’autre pilier est la donnée. Le ministère, en partenariat avec la start-up congolaise AfriMap, développe une application mobile de remontée d’information communautaire. Chaque chef de village pourra signaler en trois clics une montée de fleuve ou une pénurie aiguë de vivres. Les alertes agrégées nourriront un système de veille, entraîné à identifier les signaux faibles grâce à l’intelligence artificielle. Cette approche participative responsabilise les citoyens tout en réduisant la latence bureaucratique.
Jeunes professionnels et bénévolat : la relève s’organise
L’efficacité d’un dispositif dépend de ses ressources humaines. Conscient de cet impératif, le ministère lance dès la rentrée prochaine un programme de volontariat dédié aux jeunes diplômés des universités congolaises, filière logistique, santé publique et sciences sociales confondues. Pendant douze mois, ces volontaires opéreront aux côtés des équipes municipales pour tester en situation réelle les protocoles d’urgence. La démarche répond à un double enjeu : insuffler l’innovation propre à la jeunesse et créer des débouchés professionnels dans un secteur encore peu valorisé.
D’ores et déjà, des partenariats avec des incubateurs basés à Pointe-Noire prévoient de transformer les prototypes développés sur le terrain – capteurs hydrométriques low-cost, applications hors-ligne de géolocalisation des sinistrés – en micro-entreprises susceptibles de fournir des solutions exportables. Le renforcement des capacités de riposte devient ainsi un levier de développement économique et d’insertion, en cohérence avec le Plan national de développement 2022-2026.
Vers une culture du risque partagée
En filigrane de ces annonces transparaît une ambition plus vaste : faire émerger une culture du risque et de la prévention dans la société congolaise. Le couplage entre entrepôts régionaux, données en temps réel, inclusion productive et mobilisations citoyennes traduit un changement de paradigme. La riposte n’est plus seulement l’affaire de spécialistes parachutés ; elle devient l’expression d’une solidarité nationale structurée.
Au terme de la rencontre, la ministre Mboukou-Kimbatsa a confié à la presse que « l’efficacité humanitaire se mesure moins au volume de vivres stockés qu’à la rapidité avec laquelle ils rassurent une population en détresse ». Si l’engagement financier se concrétise et si la formation suit le rythme, le Congo-Brazzaville pourrait, dans les cinq prochaines années, se positionner comme un acteur de référence en matière de gestion des risques en Afrique centrale, tout en offrant à sa jeunesse un horizon d’actions et de responsabilités.