Un retour inattendu dans une salle de rédaction brazzavilloise
Le 9 avril dernier, la porte vitrée de la rédaction de La Semaine Africaine s’est ouverte sur une silhouette familière : costume sobre, sac usé porté en bandoulière, objectif au cou comme un médaillon. Victor Makabus, que l’on croyait disparu ou trop affaibli par la maladie, s’est présenté avec ce sourire discret qui annonce de bonnes nouvelles. Deux années d’absence avaient laissé planer toutes les supputations, du simple isolement sanitaire à la rumeur alarmante de décès. « Je n’étais qu’en convalescence », confie-t-il, préférant passer rapidement sur les détails médicaux pour parler, déjà, du prochain match qu’il aimerait couvrir. La scène a saisi la rédaction : elle révélait le retour d’un témoin privilégié de plus d’un demi-siècle d’épopée sportive nationale.
Le sillage d’un pionnier formé à Moungali
Né Victor Miakaba dans un Brazzaville d’après-guerre avide de modernité, l’homme adoptera très tôt le pseudonyme Makabus, clin d’œil à un sobriquet de quartier. Ses premiers pas se font à Moungali, dans l’atelier du photographe Dekoum, mentor rigoureux qui lui apprend la patience du cadrage. « Il fallait mériter chaque pellicule », se remémore-t-il. Sous l’influence d’Alphonse Kina, autre figure marquante de l’époque argentique, il se tourne vers les stades où l’action est fulgurante et l’émotion brute. C’est au stade Éboué que sa première planche-contact dédiée au sport verra le jour ; la publication, quelques jours plus tard, dans La Semaine Africaine sera son adoubement.
Une signature visuelle au service des Diables Rouges
Des années 1960 à la décennie 1990, l’objectif de Makabus suit les Diables Rouges comme une ombre appliquée. Ses clichés donnent un visage à des surnoms de légende : « Jadot », « Mulélé », Mbono dit « Sorcier », Mbemba alias « Tostao », ou encore Moukila connu sous le nom de « Sayal ». Les tirages, vendus à la criée à la sortie des tribunes, font vibrer les foyers congolais et façonnent une mémoire collective. Les jeunes supporters actuels reconnaissent dans ces images un patrimoine visuel, à l’instar de Kevin, 24 ans, étudiant en communication : « Sans lui, nos parents ne nous auraient jamais montré la ferveur de 1972 ».
Photographier la légende, des stades à la politique
Le travail de Makabus dépasse vite les pelouses. Sa présence lors de la réception des Diables Rouges au Palais du Peuple, immortalisant le Chef de l’État fixant l’objectif d’un regard complice, illustre l’entremêlement fertile entre sport et politique. « Makabus ! As-tu encore l’œil ? » lui lança, ce jour-là, le Président Denis Sassou-Nguesso, phrase qu’il relate avec une fierté mesurée. L’épisode marque, sinon une consécration, du moins la reconnaissance institutionnelle d’un artisan dont la loyauté professionnelle ne s’est jamais démentie.
Entre reconnaissance publique et distinctions officielles
Si le grand public l’érige volontiers en icône, l’artiste n’a reçu, à ce jour, aucune distinction honorifique formelle. L’intéressé, fidèle à sa réserve, dit ne nourrir « aucune amertume ». Les observateurs, eux, s’interrogent : la valeur patrimoniale de ses archives, évaluée à plusieurs milliers de négatifs désormais numérisés, justifie-t-elle une reconnaissance culturelle plus appuyée ? Les milieux universitaires plaident pour l’intégration de ses photographies dans les collections nationales, tandis que les associations de supporters proposent d’apposer son nom à une tribune du stade Massamba-Débat, afin de transmettre aux jeunes générations le goût de l’image authentique.
Les réalités administratives d’un retraité exemplaire
En parallèle, l’homme affronte un parcours administratif complexe. Recruté tardivement à la Caisse de retraite des fonctionnaires, il dépend désormais d’une pension dont les versements accusent certains retards. Makabus admet avoir lui-même tardé à boucler son dossier pour cause de santé, mais il demeure confiant : « Mon état s’améliore, je vais régulariser les pièces manquantes ». L’administration a, de son côté, assuré qu’« une solution diligente » sera trouvée. Cette confiance mutuelle illustre un dialogue institutionnel que de nombreux jeunes actifs observent avec attention, conscients que la soutenabilité de nos systèmes sociaux requiert précision et anticipation.
Le regard d’une génération sur l’héritage de Makabus
Ce retour sur le devant de la scène invite les 20-35 ans à méditer la leçon d’un aîné qui a su conjuguer passion, persévérance et fidélité à l’éthique professionnelle. Dans un contexte où l’image se consomme à grande vitesse sur les réseaux, la lenteur réfléchie de Makabus rappelle que chaque prise de vue est une responsabilité. Son histoire, inscrite dans la grande aventure du football congolais, démontre qu’entre le clic de l’obturateur et l’ovation des tribunes se tisse la trame discrète de la mémoire nationale. S’il n’a pas encore reçu de médaille, il possède déjà l’essentiel : l’estime populaire et un héritage que les archéologues du numérique s’emploient à préserver.