L’aube d’une architecture logistique ambitieuse
À quelques encablures du port de Pointe-Noire, la base Yasika a officiellement pris vie sous le regard du ministre des Hydrocarbures, Bruno Jean-Richard Itoua, et du directeur général d’Eni Congo, Andrea Barberi. Le choix du nom, signifiant « nouveau départ » en lingala, révèle une volonté de rompre avec les architectures logistiques héritées des premières années pétrolières. Dans l’estuaire calme où s’alignent hangars et grues portuaires, la jeune plateforme se positionne déjà comme un nœud stratégique reliant les gisements offshores du permis Marine XII à la demande croissante d’énergie domestique et régionale.
Un maillon vital pour la chaîne GNL congolaise
Yasika est plus qu’un simple entrepôt portuaire ; elle constitue la tour de contrôle matérielle du projet Congo GNL. En soutenant les unités de liquéfaction Tango FLNG, mise en marche en décembre 2023, et Nguya FLNG, dont le démarrage est annoncé pour fin 2025, la base fluidifie l’acheminement des équipements lourds, des consommables de forage et des équipes techniques vers les champs situés au large. Ses 190 000 mètres carrés de surface, son quai de 285 mètres linéaires, ses mille mètres carrés de bureaux climatisés et ses seize mille mètres carrés d’ateliers couverts composent un environnement calibré pour absorber des pics d’activité tout en réduisant les temps d’escale des navires ravitailleurs.
L’unité de traitement des boues et ciments, installée sur un espace de près de mille cent mètres carrés, répond aux standards internationaux de maîtrise des effluents. Ce dispositif, rarement implémenté à proximité immédiate d’un embarcadère en Afrique centrale, permet de préparer sur place les fluides de forage, limitant ainsi les transferts routiers et maritimes à risques. Résultat : une réduction sensible de l’empreinte carbone et des coûts logistiques, paramètre décisif dans le contexte volatil des cours du gaz naturel liquéfié.
Des retombées socio-économiques palpables pour la jeunesse
Devant une assemblée où se pressaient jeunes ingénieurs et étudiants en génie industriel, le ministre Itoua a insisté sur « l’effet d’entraînement » que Yasika est appelée à jouer sur l’emploi local. Près de soixante-dix pour cent des effectifs permanents recrutés pour l’exploitation de la base sont congolais, un ratio que la compagnie dit vouloir porter à quatre-vingt pour cent à l’horizon 2027. L’accent est mis sur les métiers de la logistique intégrée, de la maintenance prédictive et de la gestion HSE, disciplines dans lesquelles la demande explose et qui offrent des passerelles vers d’autres secteurs exportateurs.
Au-delà des contrats directs, la fabrication dans le pays des arches de soutien Midwater Arch, indispensables au transport des hydrocarbures, illustre la stratégie de contenu local. Les chaudronneries de la zone industrielle de Ngoyo, dotées d’équipements financés en partie par Eni Congo, ont ainsi sécurisé un carnet de commandes pluriannuel. Selon les estimations de la Chambre de commerce de Pointe-Noire, chaque milliard de francs CFA injecté dans ces ateliers génère près de deux cents emplois induits le long de la chaîne de sous-traitance.
La sécurité et l’environnement au cœur des protocoles
Tirant les leçons des meilleures pratiques internationales, Yasika intègre un dispositif de contrôle numérique en temps réel des flux humains et matériels. Les capteurs de charge, combinés à un système de géolocalisation interne, réduisent les incidents de manutention de vingt pour cent, d’après les premiers rapports d’audit. Sur le front environnemental, l’architecture verte du site – toitures photovoltaïques, systèmes de récupération des eaux pluviales et éclairage LED – devrait permettre d’économiser plus de trois mégawatts-heure par mois.
Les autorités congolaises, qui ont ratifié l’Accord de Paris, voient dans ces améliorations un argument pour renforcer l’attractivité du pays auprès des investisseurs sensibles aux critères ESG. « Yasika constitue une vitrine de ce que peut être une industrialisation respectueuse des normes climatiques », souligne un consultant du Cabinet africain de transition énergétique, évoquant la possibilité de reproduire le modèle sur le corridor pétrolier de Djéno.
Vers une intégration industrielle accrue et des savoirs partagés
La dynamique suscitée par Yasika dépasse le seul périmètre gazier. L’université Marien-Ngouabi négocie actuellement la mise en place d’un centre de formation certifié API, adossé aux installations de la base, afin de former chaque année une centaine de techniciens supérieurs aux standards internationaux. En parallèle, des PME congolaises spécialisées dans l’ingénierie maritime profitent de la proximité d’un marché portuaire internalisé pour tester de nouveaux procédés de soudage sous vide et de contrôle non-destructif.
Cette approche d’intégration graduelle s’inscrit dans la politique nationale de diversification économique, rappelée à plusieurs reprises par le président Denis Sassou Nguesso. En connectant des infrastructures de pointe à un tissu productif local en pleine maturation, le pays ambitionne de renforcer sa résilience aux chocs extérieurs tout en préparant la transition vers un mix énergétique plus équilibré.
Regards prospectifs sur l’essor énergétique national
À court terme, la base Yasika vise une capacité de traitement logistique correspondant à trois millions de tonnes équivalent pétrole par an, objectif qui positionnerait Pointe-Noire comme carrefour sous-régional du fret offshore. Sur la décennie, l’enjeu sera d’anticiper la montée en charge des exportations de GNL vers les marchés asiatiques et sud-américains, tout en sécurisant l’alimentation domestique en gaz pour la production électrique et les usages industriels.
Avec cette plateforme, Eni Congo crédibilise la trajectoire fixée par le gouvernement : faire de la République du Congo un champion moyen du gaz en Afrique centrale, capable de créer de la valeur ajoutée localement et de participer à la stabilisation des approvisionnements régionaux. Pour la jeunesse congolaise, l’équation est claire : la maîtrise des compétences techniques et la capacité à innover détermineront le rôle que chacun pourra jouer dans cette nouvelle ère énergétique. Yasika, en définitive, n’est pas seulement une infrastructure ; elle est le symbole tangible d’une économie qui prend le pari de la modernité.